lundi 11 avril 2011

ramassis.

Bon, je viens de finir de mettre tous mes textes de la session sur mon blog. Ce fut long. J'en viens vraiment à me dire que l'université m'enlève la possibilité de créer, en me forçant à écrire autant. Mes idées, Dieu seul sait combien elles sont nombreuses, restent muettes puisque les commandes de textes pleuvent.
Mais bon. J'imagine que c'est pour le bien.

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J'ai une sensuelle envie. Je danse lascivement avec elle.
L'envie d'être méchante, cruelle.
Dieu, encore lui, seul sait comment j'en serais capable, comment tout ce que j'ai encaissé sans broncher, au début, et en brochant si peu, par la suite, pèse lourd sur ma pauvre carène.
La méchanceté m'allèche, me sussure à l'oreille, me souffle dans le cou. Elle me chuchote toutes les formules faciles et acides qui pourraient gicler de toutes parts, qui pourraient atteindre rapidement et en plein cœur.
J'en soupire d'envie.

Mais la perspective des remords d'après me turn off

Reste que des fois, une méchanceté m'échappe, quand je suis toute seule. et j'en souris. Ça fait du bien.
Every Rose has it's thorn.

Même une fleur peut te faire saigner l'doigt.

une tonne de Haïkus!

Je chasse au fusil
Sous le feuillage de la vie
Je suis une proie.


La fraise coule
Ses grains ruissellent doucement
Elle s’impose au palais.


Les ailes des narines frétillent
La salive brise la digue
La boulangerie s’active.


Coton mince sur la peau
Toile de lin sur les jambes
J’ai froid


La rose s’ouvre, coule
La rosée lèche sa peau de fleur
Elle est à fleur de peau.



Dors petit bébé
Dans le ventre de ma sœur
Demain, on ira cueillir une fleur.


Le désert s’infiltre
Dans les craques du sofa
Il sable le plancher.



Le poisson nage sur le dos
Ses nageoires sont déployées
Il luit au soleil, mouillé.

Le lys bâille
Il s’étire, chante, aspire
Et en échappe ses pistilles.


Je t’ai pris par surprise, pris au dépourvu
Avec mes yeux affamés, mon appétit
De toi.

La lampe blanche est croche
Elle pend sur le bord
Des roches.


Les mannes volent, s’amusent
Se reproduisent à tous les vents
Et meurent.


Perfide femme d’or
Père fit à toi un tort,
La mort.


Le vieil homme marche
Il chancèle et martèle le sol
de ses pas de craie.


Le crayon se guillotine
Il s’épluche et se tord de douleur de bois
Le nez de plomb dans l’aiguisoir.



L’amour sèche, craque et pleure
Perd ses couleurs
Jusqu’au printemps.




L’hiver se termine et redonne
La sève à la bouche
Des amoureux interdits.


Sous le tapis velouté
Dors un enfant vert, au visage bleuté
Il s’enracine.


Les notes virevoltent
Elles cajolent ton tympan
Et violent ton esprit.


Elle flatte l’un
Touche l’autre
Et pleure le matin.


La flamme brûle
Se consume et
Meurt atrocement.


Le noir rit jaune
Ses dents éclatent le blanc
Et fadent avec le temps.


Quand la neige fond
Le sable coule en plomb
Et morfond le beige.


Avec l’eau la poudre s’épaissie
Devient un nectar
Rouge de framboise.


La moisissure éclate
Explose de bleu et de vert
Pomme.



L’abeille se fond
Contre le velours jaune moutarde
De tes cheveux.


La précieuse encre coule,
Elle s’échappe et pleure
Il faudra traire un poulpe.


Le frimas épouse la dentelle
Dans la fenêtre
De ma vie.

La mort brode ses filets avec de minces crochets
Elle les tend aux passants
qui s’éventrent dedans.


Doucement elle souffle
Rejette la tête
Et montre ses dents, sauvagement.


Mon cœur pompe mon sang
Il se trompe d’artère
Et te l’envoie au visage






La muse éternue et froisse
Sa coiffure de soie
Le peintre pleure et maudit le poivre.




Une pistache s’ouvre, se déploie
Elle crache de la lime amère et salée
Elle se laisse désirer.

L'Ange à tête noir

Je m’appelle Louis Héron. Je suis le petit garçon le plus chanceux de la terre entière. Je détiens un secret unique. Plus qu’unique, divin!

Chapitre 1
Ma vie du mardi

Il fait soleil dehors, pour un lundi! Mais croyez-moi, c’est le mardi que la vie est belle! Cette journée-là, et pas les autres, ma mère m’évade de l’école! Elle aime tellement les oiseaux qu’elle les imite chanter. Oh! Pardon, je saute des étapes. J’allais en fait raconter qu’elle m’emmène toujours dans un endroit spécial, le mardi. Un endroit où je me sens bien. Demain, ce sera le grand champ jaune de madame Otis. Elle est courte, foncée et fripée, cette femme-là. Maman dit qu’elle est comme une feuille d’automne qui craque. Ça me fait beaucoup rire! Pendant nos sorties, elle me raconte des tonnes des choses et me montre les petits animaux, les papillons, les fleurs. Elle a souvent essayé de me présenter à la grosse marmotte, mais elle se cache à notre approche! Les oiseaux chantent toujours très fort, le mardi après-midi.
Les oiseaux! C’est ce que maman aime le plus. Après moi, bien sûr! Elle chante et je ferme les yeux. Des fois, j’écoute les chants et je ne fais plus la différence entre la voix de ma mère et celles de ses amis oiseaux! C’est logique que ma mère parle l’oiseau, mon père est un oiseau! Elle doit savoir son langage pour lui parler!



Chapitre 2
Mon père, l’oiseau

Mes amis refusent de croire que mon père est un oiseau, mais maman me l’a dit. Elle m’a appris qu’il a des ailes et qu’il nous regarde toujours du ciel. De son perchoir, probablement! J’espère qu’il ne mange pas trop de vers de terre, par contre, parce que j’ai vu beaucoup d’oiseaux faire ça!
C’est certain que j’aimerais mieux qu’il soit sous forme humaine et qu’il soit avec moi. Je comprends tout de même qu’il veuille rester un oiseau, maman chante si bien leur langage!

Le mardi, je peux partir de l’école, vous vous souvenez? Ma maîtresse, Madame Yvette, me dit toujours oui! Elle accepte rapidement, surtout quand je lui confie que je m’en vais voir mon petit papa l’oiseau. Eh bien demain, on sera mardi! En attendant, je marche tranquillement pour me rendre à l’école. Je ne suis pas pressé. Je suis un petit garçon patient. Maman me dit toujours : «Louis, tu es patient.» Et j’aime ça. Je suis prudent aussi, je marche sur le trottoir même si les cailloux me font mal aux pieds. Il faut dire que j’ai de très petits pieds, comme les oiseaux qui se tiennent sur leurs piquets de jambes. Oh! Il y a un petit merle qui me regarde. Ça vaut bien la peine de m’arrêter quelques secondes. Peut-être est-ce mon père qui me dit bonjour. Je n’en sais rien, puisque ma mère refuse de me dire de quelle sorte d’oiseaux il est, mon papa. Je trouverai bien un jour, promis!


Chapitre 3
L’école et son brouhaha!

Voilà l`école! Mais j’y pense, j’avais un devoir à faire! Pas besoin de préciser que je ne l’ai pas fait. J’avais vraiment l’intention de le faire, mais j’ai été distrait. Je suis distrait, ma mère me le dit souvent aussi! Pas sur le même ton, par contre. Et la cloche qui sonne! Ça effraie les oiseaux, le gros tintamarre des cloches.

En classe, madame Yvette me demande d’aller devant les amis pour réciter mon devoir, je me sens mal de refuser. Je n’ai rien écrit, mais je suis capable d’imaginer à mesure! Je me lève, tranquillement. J’ai un nouveau chandail, ce matin! Il est tellement vert qu’il en fait mal aux yeux! Je l’aime beaucoup, ce chandail. J’allais parler, mais le gros Simon Caron éclate de rire. Les autres aussi. Je ne comprends pas pourquoi, mais ils pointent mon sac. Il est vert lime, comme mon chandail. C’est maman qui me l’a offert, mon sac. Mon chandail aussi. Elle m’a bien dit que je devais porter les deux en même temps, pour que les couleurs s’agencent bien. Je crois que ça fait rigoler les autres. Simon Caron rit toujours, il a vraiment l’air de s’amuser. Dans un éclat de rire, il dit tout fort que si mon père n’était pas un ange, je ne m’habillerais pas en fille. Parce que les filles aiment que les couleurs s’agencent et soient pareilles. Oh lala! Madame Yvette est toute rouge, elle est en colère. Et moi je reste là, à ne rien dire. Il est vraiment dans le champ Simon, et pas dans celui de madame Otis! Mon père c’est un oiseau, pas un ange! Madame Yvette l’a pris par l’oreille et le sort de la classe! Je ne l’ai jamais vu si fâchée. Mais c’est quoi, un ange? Je devrai enquêter là-dessus. Oh que oui!


Chapitre 4
L’enquête

Aujourd’hui, je ne suis pas allé à l’école du tout! D’habitude le mardi c’est après-midi libre, pas journée libre! Maman a reçu un appel de madame Yvette hier soir, elle a pleuré beaucoup au téléphone. Comment madame Yvette peut faire pleurer maman? J’espère que ce n’est pas la gravité de la punition qu’a reçue Simon qui fait pleurer ma mère!
On est mardi et on ne fait rien. Pas de champs, pas de forêt, pas de jardin zoologique ni d’endroit ce de genre. Dommage, j’avais envie de courir vite dans l’herbe. Mais j’ai un plan de remplacement! La bibliothèque de maman est petite, mais pleine de livres! Surtout sur le dessin, mais aussi sur les oiseaux. Il me faut une petite chaise. J’escalade les tablettes et je prends le gros livre sur les différents types d’oiseaux. Ouf! Il y a de la poussière là-dessus! J’en ai pleins des yeux! C’est si lourd, je vais l’échapper!

Après quelques temps, je suis perdu. Je ne trouve pas! Tous les noms ont l’air d’un charabia! Je ne lis rien qui ressemble à «Ange».
Oh, j’entends des bruits de pas! Maman me regarde. Elle a les yeux rouges et bouffis, elle a encore pleuré! Pauvre Simon, ça doit être grave comme punition.
-Qu’est-ce que tu fais, Louis?
-Je cherche quelque chose.
-Et je peux savoir quoi?
-Je cherche c’est quoi un ange, parce que Simon a dit que papa en est un.
-Et tu cherches ça dans un livre d’oiseaux?
-Bah oui! Tu m’as dis que papa était un oiseau.

Des fois, maman est drôle. Elle dit des choses, les oublies et je dois lui rappeler. Tiens, elle a recommencé à pleurer! Je déteste voir ma mère pleurer. Elle me regarde et m’averti que je ne trouverai pas, que les anges ne sont pas des oiseaux, que c’est comme ça. Quoi? Mais pourquoi elle dit ça?

Chapitre 5
Victoire!

Comme elle s’en allait, j’ai trouvé! J’ai réussi! La mésange! Un joli petit oiseau qui peut avoir la tête de plusieurs couleurs, noire, brune. Elle peut même être toute bleue! Moi, j’ai les cheveux noirs, ce n’est pas un hasard! Papa est une mésange à tête noire, c’est certain. Maman dit que ce n’est pas vrai, mais moi je sais que oui, mais pas un ange, une mésange! À tête noire en plus! Enfin, je connais mon père, mais c’est un secret.

Vent chaud et gravier

Prête à sortir, Amélie n’avait pas déposé sa main sur la poignée mais déjà elle percevait le printemps qui était là à l’attendre, l’autre côté de la vieille porte. Un printemps poignant qui exhale l’odeur saline et terreuse des bourgeons, qui rappelle la sensation du sable grossier sous les pieds, du vent délicieusement chaud qui surprend, après un hiver froid et mordant. Un printemps installé sournoisement, la nuit durant. Un printemps tant attendu. Coquine, elle s’attardait. Elle savait que le soleil l’attendait. Entre autre. Il s’infiltrait entre les lattes du store, il lui réchauffait le cuir chevelu, lui excitait les taches de rousseurs, pourtant bien enfouies.
Dehors, un grand brun l’attendait. Un homme doux, différent. Du genre de ceux qui font un détour pour quelques secondes. À peine passé le pas de la porte, le soleil avait bondi sur elle, en parfait synchronisme avec les sentiments qui accompagnaient la présence du jeune homme, ce matin, devant sa porte. L’épaule droite accotée sur l’immeuble, d’une nonchalance calculée, il laissait ses mains dans ses poches, aussi impatientes étaient-elles. Il portait un jeans pâle sur ses longues jambes larges, fortes. Un jeans sensuel, si un jeans peut l’être. Par sa veste de cuir entrouverte, Amélie voyait son cou massif, nu. Un sourire s’esquissa sur leurs lèvres. Un sourire l’un pour l’autre. Elle ne voyait pas ses yeux, il portait ses éternelles lunettes aux verres fumés, mais elle les devinait amoureux.
Une bouffée de chaleur l’avait envahie, l’avait fait fondre. Une chaleur sourde de printemps mélangée à une flamme allumée par du cuir, de la carrure et des dents blanches. Comme elle croyait se répandre en flaque, elle s’était surprise à continuer son chemin, suivie de l’homme tendre. Elle écoutait le bruit de ses petits pas légers sur le gravier qui s’était enfin débarrassé de la neige qui le recouvrait, qui l’étouffait. Après trois ou quatre bouffée d’air, déjà, ses poumons étaient pleins de printemps, de rose et d’amour. Sa main, glissée dans celle du tendre, semblait ridiculement menue. Ses longs doigts fins ressemblaient à de minces brindilles enserrées entres de fortes branches. Elle rougissait. Jamais la taille de ses mains ne lui avait paru aussi mignonne que lorsqu’elles étaient au creux des poings de ce grand garçon.
Ils étaient arrivés à l’arrêt d’autobus. Elle regardait autour d’elle et se sentait ailleurs. Dans un film, peut-être. Elle voyait le chemin pavé qu’ils avaient emprunté pour descendre jusqu’à cet arrêt. Un petit chemin sinueux au milieu d’immeubles vieux, vivants. Un cachet énorme. Un quartier où le vieux contraste avec la rapidité du progrès. Elle avait toujours rêvé de vivre dans le Vieux-Québec. C’était chose faite. Avec lui, comme un petit quelque chose de plus. Un grand quelque chose de plus, en fait.

L’autobus arrivait, au loin. Déjà, l’homme sentait la séparation, voulait l’embrasser. Sur la pointe des pieds, elle se hissait jusqu’à lui, s’accrochait à son torse. La tête inclinée, il attendait ses lèvres. Amélie devinait ses yeux fermés, cachés derrière des verres noirs. Des lunettes immenses, de star de cinéma, dans lesquelles elle se voyait l’embrasser. L’extase. Les gens qui se massaient pour être cueillis par l’autobus les regardaient. Elle sentait une vingtaine de regards braqués sur elle, sur lui, sur leur étreinte. Le temps s’arrêtait.
Sous ses pieds, le gravier continuait de lui rappeler la lente et douce fonte des neiges, le vent lui soufflait dans les cheveux, lui effleurait le cou. Un vent chaud, parfumé. Chaud comme la bouche de l’autre, qui la retenait encore, quelques fugaces secondes, contre lui, avant qu’elle ne parte travailler.

Velour et fracas

Stationné au dépanneur depuis vingt minutes, il s’attarde sur les fibres rugueuses du velours vert des sièges de son taxi, elles s’enfoncent sous le poids de son dos, se moulent à la forme de ses épaules. Il en perçoit surtout l’odeur. La semaine dernière, un client régulier, un commis imbécile du dépanneur, a vomi sur la banquette arrière. Une belle soirée payante couronnée d’une flaque suintante, d’un gros bol de soupe. Du genre de celles qui ont de gros morceaux de légumes colorés et des pièces de tiraille de viande suspectes. Martin renifle encore l’odeur rance et acide, odeur qu’il a tenté par au moins cent façons de faire disparaître. Ses gros doigts portent encore les brûlures du détergent commercial que Lemieux lui a suggéré. Suggestion imbécile. D’ailleurs, en ce moment, la morsure des produits chimiques sur la peau de ses doigts boudinés se fait sentir. Ça brûle en chien! Martin, tu devrais tellement aller à l’hôpital, tu t’es brûlé ben raide! Francine l’achale toujours avec l’hôpital. Sa voix lui bourdonne sans cesse dans les oreilles. Comme s’il avait envie d’y passer sa vie. Il y est allé la semaine passée et il en a encore la tête qui tourne. Sa propre fille y a accouché, il y a déjà 8 jours. Grand-père. Qui a envie d’être grand-père à 36 ans? Pas Martin Beauchamp.
Il avait averti Francine que Carole était trop jeune pour voir le fils des Lesage. Elle venait de fêter son seizième anniversaire, c’était trop jeune pour même penser à aller dans les bars. Quoi qu’à Joliette, les bouncers se laissent amadouer. Reste que découcher quatre à cinq fois par semaine, à seize ans, c’est trop. Surtout quand il savait qu’elle passait la nuit dans l’appartement du plus vieux fils de Marcel Lesage. Un appartement qu’il connaissait trop bien. Il y dépose tellement de gens, avec son taxi. Des gens étranges et sales. Il a même laissé une prostituée là-bas, l’autre fois.
Anyway, il n’y peut rien. Sa fille lui a fait comprendre de la laisser en paix.
L’air froid de son climatiseur l’achale. Les poils foncés de ses bras sont dressés. Toute la journée, tout l’été. Pourquoi les clients insistent toujours pour qu’il laisse l’air glacial envahir la voiture ? Descendre les vitres, ça ne suffit jamais.
Tiens, une femme s’amuse avec un bébé dans le parc d’en face. Ça distrait de l’attente. Les gens qui prennent des taxis fument toujours, mais n’ont jamais de cigarettes. Il devrait en vendre, dans son taxi! Des cigarettes, des barres de chocolats, de la liqueur. Martin rigole. Ce n’est pas la première fois qu’il se fait la blague.
Il perd cependant l’envie de rire. La femme de l’autre côté de la rue est tombée. Elle a trébuché et s’est affalée de tout son long, violemment. Le cœur de Martin lui secoue le torse, cette femme à vraiment l’air de s’être fait mal. Il plisse les yeux pour voir mieux la situation, sans succès. Il ne voit que des formes. Encore Francine, dans sa tête. Tu devrais aller consulter un optométriste! Tu vois comme un vieux bonhomme! Si elle pouvait fermer sa gueule, des fois. L’enfant ne se soucie pas de sa mère il est trop jeune. Martin panique, il va arriver quelque chose à cet enfant. Et cette femme, qui pourrait être sa fille, qui ne se relève pas. Câlice. Un sacre entre les dents, Martin ouvre la portière à la volée. Il s’élance vers le parc, la femme gît toujours sur le sol. Alors que son pied quitte le trottoir, une petite voiture passe rapidement devant lui, sans s’arrêter. Quelques secondes plus tard, cette même voiture termine sa course dans le flanc d’un immense camion qui filait vers l’est. L’impact est si près, si violent, que Martin en perd l’équilibre et tombe à la renverse. Couché par terre, il sent l’asphalte doux comme du velours, comme la femme apprécie la douceur de l’herbe, toujours étendue au sol de l’autre bord de la rue.

Sniff Sniff

Mon nez est un coureur de jupons, un frivole et désabusé cruzeur. Un frénétique nymphomane d’effluves, d’odeurs. Mes narines, dévergondées, s’offrent systématiquement comme réceptacle à tout ce qui passe, tout ce qui se sent. Un morceau de carton humide, une plante d’un vert étrange, un textile, une cire colorée, la chair d’un fruit, sa pelure, un chandail neuf, une serviette froide, une serviette chaude (immense différence), un pelage. Peu importe. Chaque chose qui est à distance raisonnable de mon nez, je le sens, je le hume, je l’analyse olfactivement.
Le monde des odeurs est le plus riche, le plus varié. Chaque note se détache, s’attarde dans mes narines. L’odeur fromagère, crémeuse et amère d’une sauce alfredo. L’odeur foncée, profonde et acidulée d’une fraise, d’une framboise. L’odeur verte et saline d’un maillot de bain séché au soleil. L’odeur folle et essoufflée de mon clavier d’ordinateur.
J’aime le sucré, le salé. L’acide, l’amer. Le tonka, le Grenoble. J’aime l’odeur franche, blanche et fruitée d’une brise, d’une tempête. J’aime l’odeur plastique et chauffée d’un DVD, fraîchement extrait du lecteur. J’aime l’odeur du froid, du frimas sur la vitre d’une voiture rouillée. J’aime l’odeur d’un baiser sur le nez, d’un baiser sur la joue. J’aime l’odeur poussiéreuse de ma peau, le matin. J’aime l’odeur d’une ampoule fraîchement brûlée. L’odeur du satin froid. L’odeur du métal oxydé. L’odeur de l’eau d’un bain rempli d’eau, et oublié.
J’aime sentir le monde, le mettre à mes narines, et le juger.

La mort de mes bottes de cow-boy

Hier, mes bottes de cowgirl sont mortes. De magnifiques bottes hautes de faux-cuir orange-ocre, brodées de fils cuivrés, aux bouts pointus et aux talons solides.
Le verdict était tombé comme un marteau sur la tête d’un clou innocent. Jeune femme optimiste, je m’étais vue dévisagée par le cordonnier qui, à ma demande de réparer mes bottes, m’avait répondu d’une voix qui ne laissait pas de chance. Qui tuait. Câliss ça aux vidanges, sont trop maganées. J’sais ben pas c’que tu leur as faites, à tes bottes, mais sont pus bonnes, moi j’peux rien faire avec ça.

Hier, j’ai ouvert mon placard, le printemps obligeait un changement de chaussures. J’ai tout de suite pensé à elles. Un amas de cuir roux à l’agonie. C’est ce que j’y ai vu.
Je me sentais comme l’enfant d’un parent faible qui se meurt du cancer. Qui agonise, qui se bat dans sa faiblesse tout en souriant.
Je les ai sorties du placard, pour leur faire voir un dernier début d’été, un dernier balbutiement de printemps. Elles ont gémis un peu, faiblement. De plaisir autant que de souffrance. Une dernière sortie romantique, une dernière escapade qui sent le printemps, une dernière soirée à piétiner de petites roches pointues du bout des orteils. Un peu comme une fille qui sort sa mère mourante de l’hôpital, malgré son absence de système immunitaire, pour lui faire voir les oiseaux une dernière fois. Pour lui détruire les dernières miettes de santé en lui accrochant un sourire au visage.
Une sortie à l’air frais qui respire la beauté douloureuse, le bonheur souffrant.
À chaque pas, je sentais le cuir s’amenuiser, se déchirer la chair. Je l’entendais se tordre en silence, se délecter de l’air frais tout en ayant mal aux semelles, tout en ayant la mort au bout de la pointe.
Je me savais irresponsable. À n’importe quel moment, elles pouvaient flancher. M’abandonner.
À chaque parcelle de trottoir que je foulais, je percevais la trépidante envie qu’elles avaient de prendre envol, de me mouler le mollet comme elles seules sont capables sans toutefois qu’elles réussissent à resplendir comme avant. L’éclat de l’or s’était mué en étain.
À chaque enjambée, la semelle s’émiettait, le corps de la botte s’ouvrait.
Le son sur le ciment. J’entendais l’armature de la botte en déconfiture qui se frottait au sol, la botte s’essoufflait jusqu’au squelette, râlait dans son souffle de métal. J’essayais de ne pas mettre tout mon poids sur leur échine rompue, mais je sentais ma lourdeur sur leur carrure.
Au bon moment, elles ont abandonné. Se sont laissé aller dans une déchirure, emportées par un vent de mort. J’ai eu du support. Un deuil ne se vie jamais seul. On m’a soulevé du sol et portée jusqu’à l’appartement à bout de bras. Ma botte droite avait abdiqué, s’était déchirée en deux à la semelle, et la gauche allait suivre. À six pieds du sol, je pleurais mes bottes désarticulées qui pendaient à mes chevilles, mortes.
J’ai l’intention de les enterrer.

Pamphlet

Les intellectuels portent de grosses lunettes noires, ils s’habillent en vêtements serrés et se masturbent le cerveau, frénétiquement, devant un miroir. Les intellos aiment aimer l’art, la littérature. Ils aiment aimer aimer la littérature et l’art. Mais surtout, ils aiment montrer qu’ils aiment l’art. Qui pourrait le deviner? Personne n’est assez intelligent pour voir que cet homme maigre qui porte un chandail - fait au Sri Lanka par de petites mains - sur lequel trône une représentation de Jackson Pollock, aime l’art. Personne. Cet homme doit donc justifier, prouver son amour de Pollock à chaque mot, à chaque phrase. Jackson Pollock, bonjour. Jackson Pollock, tu vas bien? Jackson Pollock, oui, merci.
Jackson Pollock, pourquoi? Qui veut réellement entretenir une conversation avec quelqu’un qui n’écoute ni ne s’intéresse que s’il voit l’opportunité de mentionner son intellect.
-J’ai si faim!
-ah oui? Tu sais, ça me fait penser à quelque chose! J’ai rêvassé pendant des heures devant une toile d’un jeune artiste néerlandais-serbo-croate. Une reproduction contemporaine éclatée de La Cène où tous les apôtres dansent nu en s’épilant les mollets et où Jésus à une corne de Rhinocéros sous le menton et des oreilles de chat. Ça m’a diablement secoué. J’ai vraiment saisi l’ampleur et l’ambivalence concrète de la métaphore sur le rapport de la nourriture avec les sujets d’un tableau. Mais également du peintre de ce tableau..

Come on.

Je me lève contre tous les humains qui ont tellement besoin de prouver qu’ils sont éduqués. Qui jouissent d’exposer à la plèbe mentale qu’ils ont tout lu, qu’ils ont tout vu. Qu’ils ont eu la chance de naître dans une famille qui prône l’éducation, qui paye les voyages, et qui s’en servent ingratement pour cracher au cerveau de ceux qui sont nés d’ouvriers. Qu’ils comprennent la démarche artistique d’un artiste qui ne la comprend même pas lui-même et qui rit dans sa barbe de voir les crétins d’intello embarquer sur son beau grand bateau peint à l’huile et à l’eau. Je me lève pour dire que je n’ai pas lu Proust, que je n’aime pas particulièrement Fellini et que j’ai abandonné Madame Bovary. Et que je m’en porte très bien.

Aphorismes

Chaque mouvement devrait interdire la chute, comme chaque mot interdit le silence qu’il brime.
*
Je serai une femme avant d’être une mère, un couple avant d’être une famille et une famille peut-être avant même d’être une femme.
*
Même la plus clichée des phrases a été pensée un jour, par quelqu’un d’original qui en était fier.
*
Quand le avant gâche l’après, que le pendant déçoit l’avant, que le après laisse sur sa faim, il faut avancer, vivre le maintenant.
*
Chaque poussière est une attente déposée, un moment perdu de trop.
*
À quoi bon voyager quand on peut regarder l’atlas.
*
La prochaine fois. Cette phrase reste longtemps en suspens, comme une confession de mauvaise foi.
*
Les meilleures larmes sont celles que tout le monde voit mais que personne ne sèche. Celles de bois.
*
L’argent n’achète pas le monde, il permet au monde de s’acheter.

Anonyme Richer

Je suis anonyme, pour plusieurs. Si peu pour d’autres.
Dommage pour eux.
En fait, j’ai un prénom simple- qui sonne mal selon moi- qui semble impossible à retenir pour le monde effervescent qu’est celui de l’enseignement. Amélie, c’est léger, c’est presque tongue twister à lire, à dire surtout. Chaque fois que je prononce mon prénom, j’ai l’impression que je me trompe, que les syllabes ne sont pas dans le bon ordre, que ma bouche trébuche et amène avec elle ma crédibilité. Mélanie. Jessica. Anne. Justine. Tous des prénoms droits, qui se répètent facilement. Peut-être que c’est le coup que le plat de la langue doit simultanément aller donner sous les palettes et au creux du palais lorsqu’on prononce la troisième syllabe mon prénom qui me rend sceptique vis-à-vis son efficacité, mais il y a anguille sous roche.
Je m’égare.
Peut-être aussi qu’à force de devoir le répéter, j’en perds le sens. Parce que je dois le répéter.
Le répéter parce que personne ne le sait, mais le mériter surtout. Universitaire, je perds mon baptistaire. À chaque porte de classe universitaire que je franchis, je deviens un meuble, un meuble anonyme. Incapable de parler, de se prononcer sur des questions simples, de verbaliser des réponses, des opinions fluides dans mon esprit. Je ne parle pas, en classe. Je me terre, me renfrogne sur ma chaise. Je suis là, à répondre dans ma tête, mais jamais à voix haute. Si bien que je n’existe pas pour les enseignants. Un petit meuble qui rigole parfois, qui opine de la tête, qui semble d’accord mais n’en parle pas. Un petit meuble intriguant, dont on ignore le prénom, qui n’en mérite pas nécessairement. Dont les tiroirs pleins de bonnes intentions, de vouloir et de capacités, demeurent fermés. Et personne n’a la clef.

Les enfants tatoués

On aime toujours nos enfants. C’est écrit. Sauf pour de rares cas, c’est comme ça.
L’enfant est une progéniture, un produit de deux personnes affairées à réaliser quelque chose. Deux personnes qui s’appliquent sérieusement, qui se concentrent. Un produit désiré, câliné, longtemps attendu. Des enfants, j’ai ai eu plusieurs. Plusieurs fois, j’ai désiré quelque chose, j’ai mûri l’idée, les conséquences. Je l’ai imaginé, j’ai tout mis en ordre pour l’avoir et j’ai fait ce qu’il fallait.
L’enfant ne sera jamais parfait, ne répondra jamais à toutes nos attentes pas plus qu’il sera exactement comme nous l’imaginions. Ce que j’ai eu n’est pas parfait, n’est pas l’exact reflet de ce que j’avais imaginé. J’ai 6 enfants. 6 tatouages, en fait. 6 fois j’ai fait confiance à quelqu’un pour qu’il change ma vie, à vie. 6 tatouages avec des défauts, des petites lacunes qui les rendent plus vrais, plus moi. Imparfaits. Comme un enfant avec les doigts trop longs qu’on aime tellement, comme un bébé maigre qu’on adore.
Plusieurs se font tatouer pour leur enfant, le prénom du bébé, l’empreinte du pied, moi je dis que le tatouage en soi est un enfant. Un enfant d’encre et d’épiderme, d’images, d’idées. Quelque chose d’indélébile dans la vie, qui nous suit partout, qui en dit long sur nous. Une extension de soi qu’on offre au regard des autres, qu’on donne en héritage de notre vie, pour un autre moment de celle-ci.

Spice girl

Poivre, menthe, gingembre, vanille, cannelle, muscade, Laurier, safran.
Poivre, noir moulu, grain de charbon. Rouge beige, cendre goûteuse de flamme qui lèche le palais, feu ardent sur les dents.
Menthe, fraîche goulue, souffle de froid. Palais de glaçons verts lime qui embaume les papilles
Qui les anesthésie.
Gingembre, racine de l’âcre, amertume de sable et de mer salée que la salive délaie lentement

Vanille, cascades blanches joyeuses et sucrées, eau à la bouche qui assimile des milliers de petits grains de saveur de fleur.
Cannelle, poudre ambrée, écorce dure et ferme, à râper du bout des doigts, à détruire sous le mortier de marbre blanc
Basilic, frottements de laine mouillée, herbe sèche qui prend les dents, qui flotte et se détend
Enfin.
Safran, minces filaments rouges au cocon d’ailes de papillons. Luxe en bouche, rondeur et volupté de la saveur et sa pudeur.