mardi 11 décembre 2012

La Bouteille

L’ivresse m’emplissait la tête. Je n’avais de cesse d’espérer qu’elle atteigne bientôt le trop-plein. Ce trou où elle s’engouffrerait pour me laisser tranquille un peu. Je ne me souviens pas de grand chose sinon de cette sensation d’être parfaitement lucide dans cette intoxication aliénante. Cette sensation d’être enfermée dans mon corps marionnette dont toutes les ficelles sont régies par l’alcool qui dévale dans mon sang. J’étais pris au piège dans ce corps de chienne saoule. Je me souviens aussi du froid. Pas un froid qui fait grelotter ou frissonner, le soir, entre amoureux. Non. Plutôt un du genre de ceux qui givre les os et l’âme en ce qu’elle a de plus profond. Un froid mental, un froid qui dit : pourquoi n’as-tu pas pris ton manteau avant de fuir du bar à pieds, quand tu habites à cinq kilomètres ? Cinq kilomètres. Ça sonne léger. Mais avec les veines bouchées de houblon, ça fait tout un monde à parcourir, seule dans le froid. Je voulais sortir de cet état, revenir à la façade que je construis de moi. L’ivresse amène la clef du cadenas qui scelle la cage dans laquelle les pieuvres, sangsues, chauve-souris et poissons-chats de mon âme sont détenus.

Jingles Bells

Dashing through the snow In a one horse open sleigh O'er the fields we go Laughing all the way Les clochettes, les carillons et les grelots sonnaient dans sa tête, frénétiques, acharnés, décharnés. Elle essayait d’orchestrer ses sens, de contrôler ses doigts et de finir l’emballage précis de cellophane et de rubans dorés du dernier panier d’osier, mais ne parvenait à rien. Le client la fixait, l’œil gros, l’écume à la bouche. Elle devait se dépêcher, avant qu’il ne la fasse fondre de son impatience. Bells on bob tails ring Making spirits bright What fun it is to laugh and sing A sleighing song tonight La boutique allait bientôt fermer ses portes, malgré la file de clients qui s’étendait jusqu’au fond du couloir du centre commercial. Ils étaient là, à s’arracher les derniers produits sur les étalages, à faire monter les enchères pour des items qui ne valaient rien les douze autres mois de l’année, à suer sous leur veste de tweed et leur fard de porcelaine. Oh, jingle bells, jingle bells Jingle all the way Oh, what fun it is to ride In a one horse open sleigh !
L’alto, inépuisable, Devrait, inlassable, toujours Faire l’amour, de dos, au soprano.

Acouphène

Ce crabe loge dans mon oreille interne. Il me gruge les tympans, frappe inlassablement du marteau sur l’étrier. Qui s’effrite. Il s’affaire à me rendre fou. Furieux. Jour nuit et aube, il me chuchote ses secrets marins, grince des dents, joue de ses millions d’instruments. Il foule mon cerveau de ses dizaines de pattes, visite mes cellules, huile mon nerf auditif. Il fait convulser, par sa magie, les muscles de mon audition, les fait vibrer, danser. Le crépitement dans mes canaux lui réchauffe le dos. Ça craque, grince, cille, vibre, mordille, clapote. Ça s’ébruite. Et ça ne cessera jamais.

Shelter- The XX

Le cuir bourgogne du divan lui collait aux cuisses. Elle replaça son chemisier blanc, l’ouvrit pour mettre ses seins en valeurs, les releva pour en accentuer le galbe, et tira sur sa jupe. Il serait de retour d’ici quelques secondes. Le grain de la musique meublait toute la pièce. L’effet Vinyl, qu’il disait. Carmen était d’accord, ça ajoutait un timbre, une couleur, une sensualité, même, aux pièces qui jouaient. La sueur lui alourdissait les cheveux, faisait briller sa peau moite d’ambre et de cuivre. Elle avait chaud, l’air l’étouffait, la caressait. Et soudain, il était là, dans le cadre de la porte. Torse nu. Carmen se mordit la lèvre, la musique chaude lui donnait envie de bouger au même rythme que lui, que ses hanches. Il s’approcha et lui tendit la main. Elle l’agrippa et ferma les yeux, se laissa aller. Il était mille heure du matin, elle était ivre, ivre de lui, de sa chaleur, de la clandestinité de leur rencontre, de son appartement désordonné, des chansons langoureuses et humides qu’il faisait jouer, de la voix chaude et suave de la chanteuse qui lui chuchotait de se laisser aller, de se dévêtir et de se blottir, seins nus, contre la peau pâle et tendue de son corps à lui. Son corps court mais beau, son corps plus âgé, noueux. Elle ferma les yeux, se laissa bercer par les notes lentes et vigoureuses qui l’inspiraient à se montrer femme, à danser avec lui l’animalité qui l’habitait sur la musique de leurs corps. Peut-être le grain du son serait aussi beau que celui d’un vinyl.

L'orange

Ses épaules, carrées. Son dos large, moulé dans la laine crème de sa veste. L’atmosphère cossue de sa maison, ses cheveux tellement longs, étranges mais beaux, foncés. Sa carrure, sa mâchoire d’homme prêt à dévorer n’importe quelle femme en commençant par les jambes. Ses yeux lourds, ronds de concentration. Sa gêne qui, au banc de bois velouté de son piano, tombait en miette. Ses mains. Ses mains longues et fines, seul accroc à sa masculinité, ses ongles longs, la disposition de ses doigts sur les touches d’ivoires de son instrument. Ses mains, gonflées, arquées. On aurait dit qu’elles cachaient une orange sur les touches noires et blanches de cet immense piano qui le transformait en homme.

Le cri

L’infirmière lui bloquait la vue, il n’arrivait pas à voir l’écartèlement de sa femme, sa brisure qui lui donnerait un enfant d’ici quelques secondes. Le médecin lui parlait, lui expliquait le processus, la normalité, mais il n’entendait rien. Que ce sifflement violent qui lui meublait entièrement les oreilles et qui gardait tous ses sentiments en otage. Sa femme criait, il le voyait sur son visage. Ses traits se convulsaient, se déconstruisaient en hurlements de douleur intraduisibles. Mais il n’en percevait pas le son. Il était sourd, sourd à jamais devant toute cette folie, sourd, cette panique insoutenable, sourd, cette incompréhension. Il voulait entendre, mais son cerveau refusait, emplissait ses oreilles de vagues folles, déferlantes d’ondes sonores pleines, confuses et noires. Il voulait entendre, entendre, participer de tous ses sens à la venue au monde de son fils. Et juste au moment où il allait hurler pour retrouver la perception des sons, tous les poils de son corps se dressèrent à l’unisson. Il l’entendit. Ce cri strident qui lui brouilla la vue, lui cassa le dos, l’agenouilla. Ce cri, granuleux, aigre, plaintif mais violent, terrifiant, inarticulé. Le premier d’une série de plusieurs millions. Le premier cri de son fils.
Le bois velouté du violon, Sec, tendre, serré, S’écume en mousse sur la portée.

La danse

Il l’a encore fait. Encore. Toujours. C’est le vin rouge qui lui endiable le corps. Il a pris la faille dans mon esprit pour y glisser sa langue et nourrir le doute cruel et persistant. J’allais partir et, pour me dire au revoir, il a amorcé le geste de me serrer contre lui. Jusque-là, rien de mal. Les amis s’étreignent. Il a ouvert les bras lentement, a penché la tête. M’a souri. Ce sourire. Mon corps s’est blotti contre lui, d’instinct. Nos corps ont pris leur temps, ont vibrés quelques tempos de trop. Puis il m’a caressé le dos puis m’a pris la main puis je me suis sentie tomber dans la merde. Son visage valsait près du mien, prêt à franchir le seuil de l’acceptable, le millimètre du bien. Le millimètre, c’est la distance où les corps sont en suspens, prêts, désireux, libidineux. C’est l’espace entre nos lèvres avant que tout ne fusionne et se perde en virevoltes. Sa barbe picotait ma joue, dansait un tango contre mon épiderme. Son souffle froid et houblonné m’enivrait, me faisait vriller les jambes. Le désir dansait avec mes méninges, avec ma rationalité, faisait la ronde avec mes valeurs. Tout son être me quémandait, pour une fois encore, de m’élancer de tous mes muscles et de sauter la clôture de béton armé qui se dressait autour de moi. Trouée. Et moi, lovée contre lui, j’ai pris ma perche, me suis élancée et j’ai sauté. J’ai atterri sur ses lèvres douces et piquantes de barbe d’homme. J’ai tâtonné de la langue sur ses dents, pris le temps de les compter. J’ai serré la main de sa luette, lui ai présenté la mienne. Nous nous sommes dansés dans la bouche quelques temps. À la vue de tous, illégalement. On s’en foutait. Puis une voiture a klaxonné. Quelqu’un a crié. Nos corps se sont déchirés et j’ai ouvert les yeux, étourdie.

Le bégaiement

Ses paroles cassaient la chaîne de sa pensée, l’obligeaient à combattre sa défaillance. Sa langue jouait à la vague s’aliénait, se projetait avec fureur vers l’arrière, se fracassait frénétiquement contre le fond de sa fosse, de sa bouche, comme une démente qui perd la tête. De parfait concert, les traits de son nez se plissaient, suivaient ses hochements de tête, martelant chaque répétition de chaque son bloqué dans sa gorge, entre son cerveau et ses possibilités. Les sons se frappaient les uns aux autres, inlassablement s’attiraient tentaient de toutes leurs consonnes de se repousser mais s’étreignaient sans fin. Jusqu’à ce qu’elle abandonne et choisisse un autre mot.

La marionnette

Elle sentait la corne s’effriter, tomber en morceaux chaque fois que le plat de son pied percutait les lattes foncées du plancher. Julien exigeait d’elle qu’elle fasse ce mouvement douloureux et destructeur, elle écoutait. Docile. Elle avait compris que, sous les ordres et les mains de ce chorégraphe, son chorégraphe, son corps ne lui appartenait plus. Elle le lui laissait, plusieurs heures par jours, pour qu’il en fasse son outil, sa page blanche, sa plume, son fusain, sa gouache, ses toiles. Sa mélodie. Il n’était pas un danseur, Julien, mais il en avait le flair, l’instinct et la passion. Il était né comme ça, capable d’imaginer les chorégraphies les plus frénétiques, originales, expressives, mais son corps restait hermétique, fermé à toute cette beauté. Le corps anguille d’Ève, lui, parvenait à danser ces arabesques, ces portés, ces douleurs et ces émotions et pour lui, elle se transformait en canevas vierge. Lorsqu’elle dansait sous son joug, Ève s’éteignait mentalement, se déconnectait, prête à vibrer sous les mouvements qu’on lui imposait, à tordre son corps et à laisser ses côtes se briser, s’il le voulait. Elle n’était plus là, plus elle, plus Ève ni rien, elle ne devenait qu’une marionnette, docile et belle, dont les membres étaient attachés par de minces fils d’or au cerveau de son maître, à ses méninges dansantes. Et tant pis si ses pieds lui donnaient l’impression de tomber en miettes, si elle sentait l’odeur ferreuse du sang qui maculait le plancher, si le besoin de boire de l’eau lui faisait tourner la tête, elle continuait de se perdre en arabesques longues et fluides, les yeux fermés, le sourire aux lèvres.

Le danseur de la pluie

La sueur chaude fait briller sa peau de charbon. Il voudrait se lécher les bras tellement la soif le tenaille, mais il se retient. Ils sont une trentaine à bouger sur la même terre, à vibrer aux sons des percussions, à fouler le même sable sans relâche dans un seul but : tordre les nuages pour en extraire la pluie. Il se tortille, sent ses bras s’égarer dans de longs mouvements frénétiques, ses pieds martèlent le sol, ses talons détruisent la sécheresse, mordent la poussière et s’effacent sous ses jambes. Il court, revient, suit les autres, les incitent à ne pas rompre cet étourdissement des sens, cette transe de fous assoiffés de bleu, de soif, d’humide. Le soleil les aveugle mais ils en sont indifférents. Les yeux se servent à rien, leurs regards sont éteints. Il a chaud, surchauffe, brûle. Il se liquéfie. L’eau coule de son front, lui glisse dans le dos, suit ses mouvements, vole dans les airs. Il reçoit ses propres gouttelettes de sueur à chaque bond, à chaque saut. Depuis des jours des nuits des siècles, il se laisse posséder par le rythme de la terre, de l’attente de l’eau, de la sueur. Ils dansent ainsi, aveugles, depuis des millénaires. Comme si le temps s’était suspendu pour les regarder, retenait ses averses le temps d’une danse, d’une transe, obnubilé par ces hommes de jais qui tournent marchent courent bougent tortillent leur corps de toutes leurs forces, sans relâche. Mais le moment arrive. Celui pour lequel ils donnent leurs muscles, leurs sens et leur volonté. Le ciel se noircit, grince, beugle, amorce sa déchirure. Ça arrive. La lumière vacille, les couleurs se mettent à fondre, à couler sur eux, sur lui. Le cyan devenu Prusse du ciel lui dégoutte sur la tête, puis se met à lui inonder le dos, l’oblige à revenir sur terre, à reprendre le contrôle de ses sens pour lever le visage vers le ciel. L’eau s’abat sur lui, sur eux, dans un ultime mouvement. Leur ovation.

Le dictateur

Bouge. Marche. Remue les hanches. Laisse tomber ta tête. Rentre le ventre pousse les seins. Je n’ai pas de seins. Pointe le pied, cogne les talons. Mais ils s’ensanglantent. Repointe le pied, recogne les talons. Frappe, martèle, pousse ton corps. Oblige-le à s’élever encore plus. Brise tes côtes. Elles le sont déjà. Serre les mollets, contracte les muscles de tout ton corps. Faim. Pointe les doigts. Grâce grâce grâce. Remonte la tête, gonfle le torse, bouge plus, fausse moins. Je fais de mon mieux ! Vite, cours, suis les autres, cours, gracieusement. Lève les bras, fléchis les coudes, ouvre les yeux, ne fronce pas les sourcils ! Mais ça vient tout seul ! Détend ton front, détend ton front ! Haut, bas, haut, bas, haut bas, haut, bas. J’ai faim. Plus vite. Haut bas haut bas haut bas. Ça tourne. Non, tu ne vois pas les étoiles. Non, tu ne vois pas tout en noir, non, tu ne te laisses pas envahir par la vague noire qui te rend lourde. Plus haut, plus droite, plus haut ! Pousse, pousse, arrête de laisser pendre tes bras ! Les autres, elles, sont droites, fortes. Contrôle le tremblement de tes genoux. Je dois manger, je danse depuis des heures avec le ventre vide. Penche la tête, rentre le ventre. Déplie les doigts sois gracieuse pousse les bras ! Ça siffle dans mon crâne. N’écoute pas ce son, fixe le vide. Pointe, pointe, Marche. Cours, arabesque ! Double pointé. Relève toi ! Qu’est-ce que tu fais à genoux ? Je n’y arrive plus. Non ! Debout, les autres te regardent ! Pousse avec tes bras pour te relever ! Je n’y peux rien. Relève-toi, ne t’affale pas en entier ! Non !

La forêt

Depuis maintenant quatre heures, Martin était enfermé dans cette pièce ocre dont l’odeur de térébenthine faisait fondre les murs. Il la détestait, cette chambre exiguë, Marguerite le savait très bien. Mais chaque soir et chaque matin, il s’y enfermait à clef. Lorsque, abandonnée, elle sortait de la maison, elle pouvait voir par la fenêtre la lumière crue de l’ampoule qui perçait le mur de brique. La fenêtre. La seule raison qui faisait que Martin choisissait cette pièce. De cette large fenêtre au cadre de bois foncé, il pouvait voir la forêt qui bordait le côté gauche de leur terrain. Une forêt ombreuse et épaisse, dont l’odeur de terre moite et feuille humide imbibait toutes les draperies, l’été, lorsque le vent circulait librement dans la maison. Martin en était amoureux, de cette forêt. Plus que de Marguerite ? Elle le lui avait demandé, mais s’était heurtée à son silence. Il se levait le matin pour observer le soleil pénétrer de ses rayons chaque feuille de chaque arbre. Pour croquer au vif la manière dont la lumière s’étendait sur les branches irrégulières et rendre le tout sur ses toiles. Inlassable, il s’enfermait également le soir dans son observatoire pour scruter amoureusement la noirceur engloutir et boire sa forêt, pour étudier la douce arrivée de l’indigo foncé puis du bleu de Prusse dans le cadre de ses images qu’il se gravait dans le cerveau. Il courait ensuite les étendre en peinture sur des toiles vierges et inoffensives qui se voyaient maculées de nuit, d’arbres, de branches et de feuilles. Il ne peignait que cette forêt. Il n’en était jamais rassasié et luttait, à chaque minute du jour, contre ce besoin qu’il avait de la contempler pour ensuite la peindre. Marguerite, dépassée, regardait les toiles s’empiler. Toutes pareilles les unes aux autres, aurait-elle dit à quiconque lui en aurait parlé. Mais elle gardait le silence sur la folie de cet homme qui partageait sa vie et qui s’évertuait sans succès à imprégner sur la matière rêche de ses canevas l’âme de cette forêt.

Le client

Enfin, il lui avait donné la permission de s’en aller. Marie passa une main, celle qui n’était plus attachée, dans ses cheveux et grimaça. Elle sentait la sueur et le latex humide. Elle restait assise sur le lit, à peine défait, pendant qu’il détachait sa main droite. Leur ébat avait été purement étrange et – Dieu merci - très bref. Pervers, malsain. Marie ne se mentait pas à elle-même, elle vendait son corps à des hommes sales qui la bousculaient, l’utilisaient et ne la respectaient pas mais dans tout ce qu’elle se plaisait à appeler carrière, jamais client ne lui avait fait de telles demandes, ne l’avait troublée à ce point. Place-toi comme ça, fais ça, ne bouge surtout pas, mets ça, mime ça. Joue à la morte. Joue que je te tue. Que je t’ai tuée. Oublie ta tête, tu n’en as plus. Je viens de te la couper. Arrête de faire du bruit en respirant. Tais-toi. Laisse ton corps mou, tu n’as plus de tête ! Il avait été clair, en la payant, il voulait – devait - pénétrer une femme morte. Quelques années auparavant, elle se serait sauvée en pleurant. Mais, s’était-elle dit, le métier l’avait transformée en chienne bien dressée. Mais aussi chienne pouvait-elle être, ça l’avait bouleversée. Mais c’était terminé maintenant, elle pouvait s’en aller. Dans quelques minutes, il aurait terminé de nouer sa cravate, qu’il venait de détacher du pied du lit, et il lui donnerait la permission de quitter sa maison. Elle pourrait enfin aller se laver, débarrasser sa peau de cette sensation de saleté qui lui soulevait le cœur. Il ne resterait de cette expérience que le souvenir troublant qu’elle passerait des semaines à essayer d’oublier et, sur ses vêtements et dans ses cheveux, l’odeur de menthe poivrée de la maison de cet homme. Marie se retenait de courir vers la porte qui la ferait sortir de cette maison. Elle était entrée par devant mais pour sortir, il lui avait demandé de prendre la porte de derrière. Dans sa course vers la sortie, quelque chose accrocha son regard. Dans la pièce du fond, sur un mur presque noir était accrochée un tableau. Marie fut happée par cette toile et ressentit un besoin viscéral de s’en approcher. Elle était signée Lydie Arickx. Une peintre qu’elle ne connaissait pas. Elle observa longuement le sujet. C’était un corps femme, à genoux, proprement décapité. Il était peint de traits grossiers et impulsifs, jaunes, ocres et dorés, sur un fond noir, comme une tache d’encre, hypnotisant. La position du corps transpirait lune soumission crasse, les bras étaient ouverts, comme une dernière supplication. Marie eut un haut-le-cœur, c’était le rôle de cette femme qu’elle avait jouée.

Le portrait

Non, ce n’était pas comme regarder une photo. Joëlle n’avait jamais ressentie cette gêne douloureuse, ce dépouillement, cette impression de nudité, même, devant un cliché d’elle-même. Ses yeux étaient menottés à cette toile, à ce portrait de son propre visage qui trônait au centre du vernissage de son voisin de pallier. Elle n’était venue que par politesse. Elle avait aperçu une affiche pour l’annoncer et s’était sentie curieuse. Il ne l’avait même pas invitée directement. En fait, elle ne lui avait adressé la parole qu’à quelques minces reprises, histoire de s’excuser d’une soirée mouvementée ou d’emprunter un marteau ou du sucre blanc. Plus elle y réfléchissait, plus elle se disait qu’il n’aurait pas voulu la voir à son exposition, justement en raison de ce portrait illégitime. Ce voisin, il était étrange. La manière qu’il avait de la regarder l’avait toujours intriguée. Et maintenant, elle comprenait pourquoi. Chaque fois qu’ils se croisaient et que son regard l’effleurait et s’attardait sur elle, il emmagasinait comme un collectionneur de souvenirs les traits doux de son visage, la couleur de chaque grain de sa peau de pêche, la forme exacte de ses minces lèvres, leur couleur et leur texture, le rose orangé de ses joues, la longueur de ces cils, l’intensité des centaines de tons de bruns qui composaient ses iris et la légèreté des ailes de son nez pour ensuite la peindre en secret et l’exposer sans même le lui mentionner. La toile était belle. Non pas parce qu’il s’agissait d’une représentation d’elle – Joëlle n’avait jamais été très vaniteuse - mais bien dans son exécution, dans la passion que son voisin avait déployée à la coucher sur son canevas, à lui voler, de ses coups de pinceaux, une précieuse parcelle de son âme. Elle se reconnaissait. Mais surtout ses yeux. Leur regard lui criait quelque chose sur elle. En fait, Joëlle avait réellement le sentiment qu’elle lisait son âme à travers les deux immenses billes de cuivre foncé que lui avait peint son voisin. Et ça lui faisait effroyablement peur. Elle lorgna vers la petite carte cartonnée affichée près de la toile. Il en demandait deux mille dollars, cadre compris. Joëlle visualisa mentalement son relevé bancaire le plus récent. D’après ses calculs, elle arriverait à débourser cette somme. D’ici quelques semaines, le temps de rassembler l’argent, ce tableau, cette partie d’elle-même qu’on lui avait substituée lui appartiendrait de nouveau.

mercredi 29 août 2012

Tryptique

Dimanche. On était jeudi. Amélie calcula mentalement. Dimanche je ne le compte pas, lundi, mardi, mercredi, jeudi. Jeudi, je le compte. Quatre jours qu’elle n’avait pas vu ce gros chat qui venait avoir élu domicile chez elle et qui, pour une raison inconnue, lui tenait autant à coeur. Le vent soufflait fort, ses cheveux dansaient une valse fluide et lente. Pauvre chat, il commence à faire froid. La nuit était noire pâle, presque matinale et Amélie avançait lentement sur la rue déserte. Ses yeux se fixaient sur tout ce qu’elle croyait voir bouger, avide d’apercevoir une boule de poils pâle et rapide se déplaçant sous les voitures ou peut-être derrière un arbre, au tournant de la 25e rue. Les cachettes, dans cette rue ponctuée d'immeubles et de stationnements, elles étaient légions. Ses yeux fouillaient les moindres recoins, sans cesse. La lumière des lampadaires la rassurait mais elle essayait de ne pas prêter attention à la morsure aigre qu’elle ressentait lorsqu’elle se disait que ce chat n’avait été que de passage. Il devait appartenir à une famille en visite dans le quartier qui était maintenant repartie. Il devait appartenir à quelqu’un qui était absent et qui était parti sans réaliser que le chat était à l ‘extérieur et il avait finalement pu lui ouvrir la porte. Peut-être que quelqu’un l’a attrapé et refuse de le laisser sortir maintenant. Peut-être qu’elle est plus confortable ailleurs. Encore une fois, Amélie soupira. Elle rentrait bredouille, sans grande surprise. Elle n’avait plus le sentiment qu’au tournant de la rue, le chat serait là. Ce pressentiment qu’elle ne pouvait ignorer quelques semaines auparavant l’avait quittée depuis maintenant quatre jours, depuis dimanche matin où elle l'avait bêtement laissé sortir. Maintenant qu'elle y pensait, peut-être aurait-elle dû refuser, ignorer la requête et enfermer ce minou avec elle. Mais non, c'est impossible de cloîtrer un chat. Et c'est absurde. Le chat pouvait bien aller se faire foutre, Amélie avait autre chose à faire que de se concentrer sur un sentiment de rejet absurde. Elle piqua dans la cours de la voisine, contourna la grosse poubelle noire et se faufila jusqu’à l’escalier qui menait chez elle. Au fur et à mesure qu’elle montait les marches, elle essayait de faire taire son espoir. Non, il ne serait pas devant sa porte. Et effectivement, il n’y était pas. ** Une vie de misère semblait se terminer. Son poil était déjà plus doux, son estomac ne lui causait plus de douleurs lancinantes. La sensation d’avoir si faim qu’elle pourrait imploser ne lui serait plus jamais imposée. La chatte avançait lentement. ëtre dehors lui fesait du bien, elle n'était plus effrayée. Elle avait demandé la porte et la jeune fille lui avait ouvert. Elle avait vu dans les yeux de cette drôle de petite femme affectueuse que peu importe le moment de la journée qu'elle reviendrait, elle lui ouvrirait à nouveaux. La chatte ferma les yeux de plaisir. Depuis presque deux mois, elle survivait plus qu’elle ne vivait. Elle habitait un petit appartement dans l’immeuble au coin de la rue quand, du jour au lendemain, elle avait vu ses maîtres emballer leurs choses frénétiquement et partir, après avoir pris soin de l’enfermer dans un garde-robe, celui de la chambre principale. Elle y avait passé presque cinq jours avant qu’un inconnu ne la trouve. Elle s’était ensuite retrouvée dehors et s’était rivée le nez sur une porte fermée lorsqu’elle avait voulu revenir chez elle. Désormais, elle n’en avait plus, de chez elle. Mais ces temps de merde étaient finis. Jamais un humain ne l’avait caressée aussi amoureusement, jamais elle ne s’était sentie si spéciale. Sans aucune raison, son instinct l’avait poussée à courir vers cette jeune femme qui marchait, toute seule dans le soir, alors qu’elle était cachée dessous une voiture verte. Elle l'avait suivie et avait découvert un nouveau foyer. Et jamais elle ne pourrait se féliciter autant que d’avoir fait confiance, pour une fois, à un humain. La journée commençait et elle avait passé une excellente nuit, allongée contre le flanc chaud de celle qu’elle considérait maintenant comme son maître. Assise sur l’asphalte chaude du stationnement devant l’immeuble où elle habitait maintenant, elle profitait du soleil matinal. Elle avait envie de se dégourdir les pattes, de courir joyeusement et de traquer des bestioles, pour le plaisir, maintenant qu’elle le pouvait. Elle s’élança vers la rue, elle connaissait un coin où l. ** Robert renifla ses chaussettes. Elles étaient figées et sèches mais il s’en crissait, elles ne puaient presque pas, il pouvait se permettre de les porter une deuxième fois. Il les enfila rapidement, il était presqu’en retard et son boss ne lui pardonnerait pas une deuxième fois cette semaine de ne pas se montrer à l’heure à la shop. Il ne travaillait jamais le dimanche matin d’habitude, mais toutes les occasions pour se pousser de chez lui étaient maintenant bienvenues. Son appartement, pourtant minuscule, était trop grand, maintenant que Dave était parti. Son fils avait à peine vingt ans et il était parti! L’acné n’avait même pas complètement déserté son visage qu’il se croyait adulte. Il ne voulait plus torcher son père, qu’il disait. Criss d’ingrat. Robert détestait se sentir seul. Il détestait avoir à ressentir des émotions, en fait. Sa vie, il ne la voulait pas compliquée et encore moins sentimentale. Il ne s’était pas posé de questions quand sa blonde du temps lui avait dit qu’elle était enceinte. Il avait ramassé le kid sans broncher quand elle était morte et depuis, il n’aspirait qu’à une vie simple, sans se casser la tête à devoir réfléchir ou quoi que ce soit. 9h37, il allait encore être en retard. C’est ça que ça donne aussi, de ressasser le passé. Il ne devait plus penser à Dave pour l’instant, ça le brouillait. Sa voiture était froide. Enfin l’été était finie, il n’aurait plus à faire sécher ses vêtements sur l’heure du midi parce qu’ils étaient trempés de sueur. Ses clefs. Il avait oublié ses clefs en haut! Il monta à la course les deux escaliers qui le menaient sur son pallier. Tant pis s’il réveillait les autres locataire de l’immeuble, il était pressé. La descente ne fut pas plus silencieuse et, essoufflé, il sauta dans sa voiture et la démarra. Il fit crisser ses pneus en reculant sans regarder plus qu’il ne le fallait pour sortir de son stationnement et, comme il s’apprêtait à repartir par en avant, il eu l’impression de rouler sur quelque chose. Câlissssss. Il prit soin de bien faire sonner la dernière syllabe, ça le défoulait. M’en fou, je pars, je suis en retard! Non, c’est peut-être un enfant, il y en a beaucoup dans la rue. Sa culpabilité l’emporta et il sortit de sa voiture. J’aurais pas pu regarder avant de sortir de mon stationnement? Les enfants, ça joue tôt dans les rues! Il soupira d’aise. Sous sa voiture, il venait de découvrir un petit amas de poils roux ensanglantés, une petite boule de chaire ratatinée qui n’avait plus l’air de grand chose. Il venait d’écraser un chat. Il balaya les alentours des yeux et aperçu la poubelle de sa voisine, sur le côté de l’immeuble voisin du sien. Ça ferait l’affaire. Il agrippa les restes de l’animal par la patte la moins sanglante et entendit un faible miaulement, quelque chose de guttural qui exprimait une souffrance qu’il préféra ne pas s'imaginer. Il n’avait pas le temps pour ça, ni l’envie. Il marcha rapidement les quelques mètres qui séparaient sa voiture de la grosse poubelle noire de sa voisine, l’ouvrit et y jeta le chat roux et maintenant rouge avant de partir.

mercredi 15 août 2012

The Cat Thing

The cat thing ou l’exploration de la culpabilité débile d’une étourdie qui envisage les chats comme des humains. De mon déménagement dans un nouvel appartement découlait naturellement l’arrivée dans ma vie d’un chat. J’en étais privée par la situation précédente et le changement renversait cette triste réalité. Depuis des semaines, je tâtonnais sur les sites de refuges félins, je magasinais un animal avec le vent dans les cheveux puisque toute ma vie, j’ai jouis de la présence d’animaux autour de moi et ça me manquait. Après moult réflexions, nous avons adopté une vieille chatte de neuf ans, craintive et fragile. Son environnement se devait d’être calme, la jolie demoiselle du refuge nous l’avait précisé. S’en suivirent quelques jours d’idylle, de nuage timide de début de relation qui, évidemment, se soldèrent avec l’arrivée de la réalité. Je ne dis pas que cette pauvre chatte, Odile, m’a déçue, je dis simplement qu’après quelques jours à entretenir l’illusion du début, la politesse de la timidité et de la retenue, les deux partis montrent leur vrai visage sans gêne, sans le masque du « vouloir bien paraître. » J’humanise les chats, I know. Bref, la déception se pointe sous toutes les formes, la mienne fut une morsure. J’ai découvert à ma vieille chatte, que je me dessinais docile et affectueuse, un côté tigresse cruelle. Sans parler en métaphores plus longtemps, elle m’a sauvagement mordue une bon soir et j’ai cru déceler en elle une sournoiserie méchante qui m’a brisé le cœur. Bref. Une soirée tiède quelconque qui, dans mes souvenirs, allez savoir pourquoi, ressemble à l’automne, je marchais vers chez moi et un chat s’est faufilé entre mes pattes. Sans que je ne comprenne vraiment ce qui se passait, il avait l’air de quémander de l’amour, là, à mes pieds. Je me suis penchée pour le caresser, décidée à lui rendre cet amour gratuit comme on caresse n’importe quel chat amical dans la rue, sans penser plus loin. Mais quand je suis partie, il a gémi et m’a suivie. Il n’en fallait pas plus pour que je m’attache. Eugène que je l’ai appelé, c’est venu comme ça. Des fois les prénoms s’imposent. N’empêche, querelle s’en est suivie, Louis était catégorique, je devais laisser ce chat à la porte de l’immeuble, jusqu’où il m’avait suivie. Et je l’ai fait. Trois jours durant j’ai pensé à ce minou roux si pâle qu’il avait l’air recouvert d’un mélange de cassonade et de crème fraîche. Je pensais à sa queue étonnante, vraiment large et touffue mais si courte. (J’aurai essayé de ne pas faire sonner cette phrase comme une description de récit porn, mais too bad, les choses sont ce qu’elles sont.) J’étais triste d’avoir frôlé un nouveaux quelque chose, une relation impromptue et étrange, et surtout, d’imaginer un chat si gentil vivre sous les arbres à la merci des intempéries. Bref, un autre soir – je vis de soir - alors que je rentrais chez moi, au tournant de la 26e rue, Eugène est apparu. Je tourne la tête et il est là, à courir vers moi comme si je lui avais manqué et que j’étais enfin de retour. Depuis, on ne s’est pas vraiment laissés. Je l’ai fait entrer chez moi, peu importe ce que Louis pouvait en penser, et je lui ai laissé, sans questions ni attentes, élire domicile vague dans mon appartement. Et, malgré quelques petites absences, il revient toujours attendre sur le palier de la porte de la cuisine, prêt à venir dormir, manger et se prélasser contre mes cuisses. La mise en situation fut longue, mais voilà le cœur de l’idée, the cat thing. J’aime Odile malgré son agressivité. Évidemment, l’arrivée de Doris – Eugène était finalement un prénom inadéquat, le chat étant finalement une chatte- ne lui a pas plu. À son naturel renfrognée et timide s’est ajouté, j’en suis plus que certaine, une part de rancune. Rancune contre moi, sa maîtresse, qui est arrivée avec ce chat qui prend toute la place et qui, visiblement, comble mes attentes. Et moi je suis là, à culpabiliser d’entretenir, sous les yeux d’Odile, une relation qui semble si riche avec Doris. À chaque caresse, à chaque frottement, j’ai l’impression qu’Odile me regarde et m’en veut. Son agressivité augmente et les quelques marques d’affections du début se sont effacées pour ne laisser qu’un chat amer qui, bien honnêtement, m’effraie. Odile serait peut-être mieux dans un autre foyer, avec une vieille dame qui lui consacre la totalité de son attention et qui ne lui impose pas d’intrus. Mais Doris est une présence aléatoire, qui entre et part au gré du vent, sans aucune attache tangible. The cat thing : Est-ce que je suis en train de démolir une relation féline établie et officielle, quoi que décevante, pour une autre relation peu sûre et aléatoire mais riche ? Et je culpabilise de seulement penser à la réponse.

vendredi 15 juin 2012

Lorsque j'aurai une fille de quinze ans, j'espère lui apprendre que de vivre en fonction de qui que ce soit d'autre qu'elle-même ne mène à rien et laisse un goût amer de frustration. J'espère lui apprendre à danser dans la rue, si elle en a envie, peu importe ce qu'elle pourra lire sur les visages des autres. J'espère lui passer ma passion pour la vie, pour le goût, pour la couleur et l'inspiration. J'espère lui apprendre à se servir de son instinct, à utiliser ses forces et apprendre de ses faiblesses. J'espère lui apprendre à faire fi de ceux qui la font sentir ridicule ou inférieure et lui montrer comment irradier peu importe à quel point les autres pleuvent. J'espère la munir, lui apprendre à déceler la faiblesse de ceux qui lui font front, à cerner la faille chez ceux qui la côtoient. J'espère lui apprendre à être assez forte pour ne jamais utiliser cette faille comme cible. J'espère lui apprendre à ne pas se rabaisser ainsi. J'espère lui apprendre que chaque petit sentiment qui la traverse vient de quelque part et se dirige ailleurs. J'espère lui apprendre à étudier son âme pour retracer la provenance de chacun de ces sentiments et à leur rendre justice. J'espère lui apprendre à s'imprégner de chaque chanson qu'elle écoutera, de chaque objet qu'elle trouvera beau et de porter cette beauté plus loin. J'espère lui apprendre que peu importe ce qu'elle accomplira ou n'accomplira pas, sa vie en vaudra la peine. J'espère lui apprendre que, pire que de décevoir les autres, il arrive de se décevoir soi-même. J'espère lui apprendre à aller vers les gens, à être ouverte aux autres, aux idées qui lui paraissent étranges. J'espère la laisser me surprendre. J'espère lui donner un exemple d'accomplissement. J'espère lui inculquer le goût de la remise en question et de l'introspection. J'espère lui filer quelques outils pour faire face à un monde de brique pour une fille de caramel.

samedi 26 mai 2012

Peu le savent, mais lors de la manifestation du 24 mai, j'ai vécu quelque chose avec un policier. J'étais là, toutes flamme dehors, à hurler ma colère, à scander mon désaccord parmi des centaines. Bien sûr, j'avais la chienne. J'avais lu tous les articles qui pullulent sur le web à propos de la violence des policiers, de la gratuité de leur coup de matraque - à défaut de celle scolaire- et des arrestations aléatoires. Je me voyais mal, tard dans la nuit, appeler.. je ne sais pas qui j'aurais appelé en fait.. pour venir me chercher au poste. Bref, je me sentais petite dans une foule qui elle, semblait pourtant sans crainte. On montait sur la rue Cartier, lentement mais sûrement, puisque devant nous, la rue St-Jean était bloquée par des voitures de police. Et évidemment des policiers debout, droits comme des glaçons qui pendouillent d'un toit de campagne. Le bout intéressant s'en vient. Je bifurquais sur Cartier quand je me suis mise à fixer un policier, immobile devant sa voiture qui bloquait la rue St-Jean. Il n'avait pas vraiment l'air plus vieux que moi, ni plus cave. Il devait se souvenir, lui aussi, du scandale des commandites. Peut-être l'avait-il mieux compris que moi, relativement jeune à cette époque-là. Il devait se souvenir, lui aussi, de la haine que ses parents avaient ressenti envers le parti libéral à ce moment-là. Il devait être tout sauf ignorant des taches béantes sur la réputation des libéraux. Et pourtant il empêchait la population de déborder alors que le temps est peut-être venu aux débordements. Peut-être que lui aussi, il avait envie de breaker in chez le premier ministre pour lui soutirer des informations, pour l'obliger à regarder la situation en face. Bref. Je le fixais et je me disais que peu importe ce qu'il pensait ou non, mon sort était entre ses mains, dans un sens. S'il le désirait, à l'instant même où je le fixais, il pouvait décider de m'arrêter, moi ou n'importe quel autre manifestants, pour entrave à la circulation ou quelque autre terme du genre. Mais non. Son regard a plongé dans le mien. Après un eye contact assez long, j'ai fait mon sourire le plus franc, le moins fake Beauty pagent, j'ai joint mes mains sur ma poitrine et j'ai baissé la tête. J'espérais que tous mon langage corporel lui communique ma reconnaissance, ma compréhension. Il m'a souri et a hoché la tête. L'air de dire: Continue, j'te laisse passer pis j'te comprends. Bref, ça ma fait de quoi. Une petite aventure, un très court idylle de compréhension entre les forces de l'ordre et Amélie R.

mardi 22 mai 2012

Je réfléchissais à mes rêves, tout à l'heure. J'en suis arrivée à la conclusion que je n'en ai pas. Pas que je n'ai pas de situation rêvée en tête, au contraire, mais plutôt que je ne formule pas de rêve précis, de goal, de peur d'être bafouée par la vie. Ou par moi, ça, ça reste à voir. Je ruminais mes espoirs amers, mes idées de grandeur dans ma tête de placard et j'ai repensé à quand j'étais plus jeune. Dans le hall d'entrée de mon école secondaire sont accrochés, tout le long du corridor principal, des toiles encadrées. Des dessins, des aquarelles, des collages. Des travaux réalisés par les élèves de l'école que la direction a jugé nécessaire d'encadrer parce qu'ils étaient remarquables. Toute mon enfance, à chaque fois que je devais aller à l'école secondaire, bien que trop jeune encore pour y suivre mes cours, j'étais subjuguée par les tableaux. Ils étaient beaux, ça oui. Mais ce qui m'interpellait, au-delà de leur beauté, c'était l'idée que quelqu'un avait eu la chance de voir son dessin choisi. Je ne rêvais pas grâce aux images, mais sur les créateurs de ces images, qui, chanceux, pouvaient se dire en temps gris que leur œuvre les rendait spéciaux parce qu'ils avaient été choisis. J'imaginais un élève au travail, penché sur ma feuille, avec le professeur qui passe derrière, jette un coup d'oeil à son gribouillage et s'exclame: Oh mon Dieu! C'est beau! On va l'accrocher en-bas dans le hall! Et cet élève me faisait verdir de jalousie. Ma meilleure amie était la fille d'une enseignante à cette école, je m'y rendais souvent. J'avais donc souvent le loisir de rêvasser sur les chanceux qui pouvaient se vanter d'avoir un dessin encadré dans le hall d'entrée de la polyvalente de Roberval. Avec le recul, je crois que je peux dire qu'un des nombreux rêves de la jeune Amélie R. 7-13 ans était d'un jour me sentir assez spéciale pour que quelqu'un choisisse mon dessin, l'encadre et l'accroche dans le hall d'entrée. Le plus proche possible de la porte par où tout le monde entre. Et pendant mes études secondaires, j'ai pris une multitude de cours d'art dans mes options. Et chaque fois, je me demandais si un jour l'enseignant allait s'exclamer et tellement se pâmer sur un dessin qu'il déciderait de l'encadrer. Après quelques années, je crois que j'ai compris que ça ne se passait pas comme ça. J'entretenais une excellente relation avec le prof d'art, peintre reconnu au Lac-St-Jean, et je me suis sentie assez à l'aise pour lui demander comment se faisait-il que personne ne dessine quelque chose d'assez beau pour que ça vaille la peine d'être encadré et installé au hall. Eh bien il m'a répondu que plusieurs travaux d'élèves méritaient cet honneur. À mon incrédulité, il a ajouté que ces élèves n'en avaient toutefois pas fait la demande. J'étais bouche-bée. L'étudiant devait le demander. Quelques secondes après, je l'ai demandé. Il m'a questionné: quel dessin j'avais en tête? Et je n'en avais pas. Comme il avait confiance en moi, il m'a donné la permission de laisser de côté le projet en cours et de commencer un autre dessin, peu importe de quoi il s'agirait. Il voulait que je fasse quelque chose que je voudrais voir honoré et il ferait en sorte que ça le soit. Et quelques mois plus tard, j'avais mon travail, un arbre étrange construit avec des découpes de feuille sur laquelle les autres élèves essuyaient leurs pinceaux pleins de peinture à l'acrylique, encadré dans le hall d'entrée serti d'une plaque dorée sur laquelle était gravé mon nom et l'année de réalisation de mon œuvre. Et tout à l'heure, en repensant à cette histoire, au plaisir que j'ai ressenti la première fois que j'ai vu mon dessin encadré, j'ai réalisé que, à l'instar d'Amélie R. 16 ans, je devrais faire en sorte que mes aspirations se réalisent à la place d'attendre que le succès me tombe dessus et que quelqu'un s'exclame que je dois réussir ma vie.

dimanche 13 mai 2012

Rarement, je mâche mes mots. Je préfère souvent les avaler tout rond. Depuis presqu’une semaine maintenant, la lettre traîne sur mon bureau de travail froid et incroyablement blanc. Une petite boule de noirceur camouflée dans une belle enveloppe, une merde enrubannée. Un refus poli et sans équivoque plié soigneusement en trois, glissé dans une enveloppe dont les rebords léchés se collent pour seller la missive : non. C'est écrasant de constater à quel point la politesse peut s'avérer cruelle, hautaine. Madame Amélie Richer. Probablement, ces dernières phrases n’ont aucun sens, sont incompréhensibles. Mais de quoi elle parle ? Tant mieux. Être compréhensible en tout temps, ça doit être épuisant. N'empêche, pour moi non plus, elles n’en ont pas, de sens. On dirait que mes espoirs s’en sont allés. Les rats quittent le navire avant que la carène ne se heurte aux sables mouvants des fonds et ne s’émiette. Je poétise un peu, ça relativise l’idée de ne pas savoir écrire et de ne rien valoir, ni même une première ovation.

mardi 3 avril 2012

T'as quelque chose dans 'face.

Depuis presque deux ans, j’ai une tache au visage.
Oh, rien de terrible.
On parle d’une petite gouttelette de vin sur le côté droit de ma mâchoire.

Le problème, à ma petite éclaboussure mauve, c’est son intermittence.

Elle apparaît et disparaît au gré des jours, reste parfois plus longtemps que d’autres, mais finit toujours par disparaître complètement.

Et une belle soirée, ça me pique, je gratte un peu, et la sensation que ça me fait sur la peau ne ment pas.

Et ma tache sera effectivement apparue dans les heures suivantes.

J’ai vu un médecin pour ça, et il m’a parlé de ma régularité, rien de moins.
Blague à part, il paraîtrait que c’est un vaisseau sanguin bien particulier qui explose pour un rien, ou pour quelque chose aussi, des fois.
Le plus drôle, c'est quand je me met à spéculer sur ce qui l'a fait éclater.


Et ça fait toujours la même forme mais la couleur varie de fois en fois.


Wonderful is'nt it ?

Tetris Game Over

Figurez-vous le portrait.

Je suis lasse, assise à ma table de cuisine. Un bordel règne autour de moi.
Un bordel qui, bien honnêtement, m’irrite sans que je ne puisse y remédier. Mon appartement, dans mon cœur, il se résume à ma chambre violette et blanche un peu trop décorée pour sa superficie. La cuisine et le salon/entrée, je ne m’y sens pas réellement chez moi, alors il m’est difficile d’entretenir ces pièces. Je sais, je sais, je justifie le bordel.


Bref, je suis assise en pyjama improvisé et je regarde le temps filer, s’effilocher et tomber à mes pieds. Il est presque 15h, je n’ai encore rien fait.


‘Faut dire que de se lever à midi n’aide pas à brasser des grosses affaires dans la journée.

Des congés réels, j’en ai peu. Je jongle avec mes études à temps plein et un travail que j’adore et auquel j’ai envie de consacrer beaucoup de temps.

Tous les jours, à la job, je me dit à quel point je voudrais faire ci, faire ça, à quel point je manque de temps pour moi, pour m’occuper de mes choses, pour écrire.

Je me dis toujours que quand j’aurai un congé, je ferai ça.

Tous les jours que j’ai cours ou que je travaille et que le soleil brille à l’extérieur, je me flagelle de ne pas pouvoir en profiter. Oh wow ! Si j’étais libre, je pourrais aller lire sur les plaines. Je pourrais marcher longuement avec Louis dans un quartier jamais exploré auparavant, découvrir les maisons les plus étranges de St-Sauveur. Toutes des choses que je brûlerais de faire en me brûlant la couenne.

Je me dis que quand j’aurai un congé, je ferai ça.

Et quand je suis fatiguée mais que je dois courir ici et là, ou qu’il pleut et qu’il tempête, je me dis à quel point j’aurais envie de me cacher sous mon oreiller et de respirer l’odeur de mes cheveux en écoutant de la musique que je n’ai pas encore eu le temps d’écouter qui piétine dans mon disque dur depuis des mois. Je pourrais même noter, écrire des petits commentaires pour chaque album découvert, histoire de m’en
rappeler et de profiter du plaisir que je ressens d’écrire sur la musique.

Je me dis que quand j’aurai un congé, je ferai ça.

Le ménage, aussi.
J’aurais mon lavage à faire, le balai à passer, mes draps à changer. Il faudrait que je range ma garde-robe de salle de bain, elle devient messy. Oh, et je devrais enfin reclasser ma centaine et demie et DVD, ils ont l’air de vouloir s’écrouler sur mes tablettes.

Et je me dis que quand j’aurai un congé, je ferai ça.

Et ma fibre artist aussi, qui s’énerve. Depuis des mois, j’ai envie de m’asseoir par terre avec une shit load de farine et une grosse cruche d’eau, une pile de vieux journaux, et de faire du papier mâché. Mais je ne sais pas encore qu’est-ce que je ferais.
Puérile, non ?

J’aurais aussi envie de faire du scrapbook. De l’aquarelle. Des collages. Prendre des photos, aussi. Beaucoup.

Je me dis que… you know it.

Mais aujourd’hui, bordel, je suis en congé.
Il est maintenant 15h et je n’ai rien fait. Et je n’ai envie de rien faire. Le soleil brille dehors, j’ai fermé les gros rideaux bordeaux qui pendent à la seule fenêtre de mon appartement pour qu’il me laisse tranquille, pour qu’il n’aiguise pas mon angoisse de n’avoir pas su profiter de cette petite journée qui s’est égrené à mes pieds et que je piétine de mes orteils.

D’ailleurs, il faudrait que je coupe mes ongles de pieds. Plus tard.

Si on travaille les journées qu’on travaille, qu’on étudie et écoute les jours qu’on a cours, et qu’on veut profiter des congés pour ne rien faire, quand est-ce qu’on peut jongler avec tout le reste ?

Je suis médiocre à Tetris. Mon temps n'est pas un écran où tous les morceaux pour le remplir s'emboîtent habilement.