mercredi 29 août 2012

Tryptique

Dimanche. On était jeudi. Amélie calcula mentalement. Dimanche je ne le compte pas, lundi, mardi, mercredi, jeudi. Jeudi, je le compte. Quatre jours qu’elle n’avait pas vu ce gros chat qui venait avoir élu domicile chez elle et qui, pour une raison inconnue, lui tenait autant à coeur. Le vent soufflait fort, ses cheveux dansaient une valse fluide et lente. Pauvre chat, il commence à faire froid. La nuit était noire pâle, presque matinale et Amélie avançait lentement sur la rue déserte. Ses yeux se fixaient sur tout ce qu’elle croyait voir bouger, avide d’apercevoir une boule de poils pâle et rapide se déplaçant sous les voitures ou peut-être derrière un arbre, au tournant de la 25e rue. Les cachettes, dans cette rue ponctuée d'immeubles et de stationnements, elles étaient légions. Ses yeux fouillaient les moindres recoins, sans cesse. La lumière des lampadaires la rassurait mais elle essayait de ne pas prêter attention à la morsure aigre qu’elle ressentait lorsqu’elle se disait que ce chat n’avait été que de passage. Il devait appartenir à une famille en visite dans le quartier qui était maintenant repartie. Il devait appartenir à quelqu’un qui était absent et qui était parti sans réaliser que le chat était à l ‘extérieur et il avait finalement pu lui ouvrir la porte. Peut-être que quelqu’un l’a attrapé et refuse de le laisser sortir maintenant. Peut-être qu’elle est plus confortable ailleurs. Encore une fois, Amélie soupira. Elle rentrait bredouille, sans grande surprise. Elle n’avait plus le sentiment qu’au tournant de la rue, le chat serait là. Ce pressentiment qu’elle ne pouvait ignorer quelques semaines auparavant l’avait quittée depuis maintenant quatre jours, depuis dimanche matin où elle l'avait bêtement laissé sortir. Maintenant qu'elle y pensait, peut-être aurait-elle dû refuser, ignorer la requête et enfermer ce minou avec elle. Mais non, c'est impossible de cloîtrer un chat. Et c'est absurde. Le chat pouvait bien aller se faire foutre, Amélie avait autre chose à faire que de se concentrer sur un sentiment de rejet absurde. Elle piqua dans la cours de la voisine, contourna la grosse poubelle noire et se faufila jusqu’à l’escalier qui menait chez elle. Au fur et à mesure qu’elle montait les marches, elle essayait de faire taire son espoir. Non, il ne serait pas devant sa porte. Et effectivement, il n’y était pas. ** Une vie de misère semblait se terminer. Son poil était déjà plus doux, son estomac ne lui causait plus de douleurs lancinantes. La sensation d’avoir si faim qu’elle pourrait imploser ne lui serait plus jamais imposée. La chatte avançait lentement. ëtre dehors lui fesait du bien, elle n'était plus effrayée. Elle avait demandé la porte et la jeune fille lui avait ouvert. Elle avait vu dans les yeux de cette drôle de petite femme affectueuse que peu importe le moment de la journée qu'elle reviendrait, elle lui ouvrirait à nouveaux. La chatte ferma les yeux de plaisir. Depuis presque deux mois, elle survivait plus qu’elle ne vivait. Elle habitait un petit appartement dans l’immeuble au coin de la rue quand, du jour au lendemain, elle avait vu ses maîtres emballer leurs choses frénétiquement et partir, après avoir pris soin de l’enfermer dans un garde-robe, celui de la chambre principale. Elle y avait passé presque cinq jours avant qu’un inconnu ne la trouve. Elle s’était ensuite retrouvée dehors et s’était rivée le nez sur une porte fermée lorsqu’elle avait voulu revenir chez elle. Désormais, elle n’en avait plus, de chez elle. Mais ces temps de merde étaient finis. Jamais un humain ne l’avait caressée aussi amoureusement, jamais elle ne s’était sentie si spéciale. Sans aucune raison, son instinct l’avait poussée à courir vers cette jeune femme qui marchait, toute seule dans le soir, alors qu’elle était cachée dessous une voiture verte. Elle l'avait suivie et avait découvert un nouveau foyer. Et jamais elle ne pourrait se féliciter autant que d’avoir fait confiance, pour une fois, à un humain. La journée commençait et elle avait passé une excellente nuit, allongée contre le flanc chaud de celle qu’elle considérait maintenant comme son maître. Assise sur l’asphalte chaude du stationnement devant l’immeuble où elle habitait maintenant, elle profitait du soleil matinal. Elle avait envie de se dégourdir les pattes, de courir joyeusement et de traquer des bestioles, pour le plaisir, maintenant qu’elle le pouvait. Elle s’élança vers la rue, elle connaissait un coin où l. ** Robert renifla ses chaussettes. Elles étaient figées et sèches mais il s’en crissait, elles ne puaient presque pas, il pouvait se permettre de les porter une deuxième fois. Il les enfila rapidement, il était presqu’en retard et son boss ne lui pardonnerait pas une deuxième fois cette semaine de ne pas se montrer à l’heure à la shop. Il ne travaillait jamais le dimanche matin d’habitude, mais toutes les occasions pour se pousser de chez lui étaient maintenant bienvenues. Son appartement, pourtant minuscule, était trop grand, maintenant que Dave était parti. Son fils avait à peine vingt ans et il était parti! L’acné n’avait même pas complètement déserté son visage qu’il se croyait adulte. Il ne voulait plus torcher son père, qu’il disait. Criss d’ingrat. Robert détestait se sentir seul. Il détestait avoir à ressentir des émotions, en fait. Sa vie, il ne la voulait pas compliquée et encore moins sentimentale. Il ne s’était pas posé de questions quand sa blonde du temps lui avait dit qu’elle était enceinte. Il avait ramassé le kid sans broncher quand elle était morte et depuis, il n’aspirait qu’à une vie simple, sans se casser la tête à devoir réfléchir ou quoi que ce soit. 9h37, il allait encore être en retard. C’est ça que ça donne aussi, de ressasser le passé. Il ne devait plus penser à Dave pour l’instant, ça le brouillait. Sa voiture était froide. Enfin l’été était finie, il n’aurait plus à faire sécher ses vêtements sur l’heure du midi parce qu’ils étaient trempés de sueur. Ses clefs. Il avait oublié ses clefs en haut! Il monta à la course les deux escaliers qui le menaient sur son pallier. Tant pis s’il réveillait les autres locataire de l’immeuble, il était pressé. La descente ne fut pas plus silencieuse et, essoufflé, il sauta dans sa voiture et la démarra. Il fit crisser ses pneus en reculant sans regarder plus qu’il ne le fallait pour sortir de son stationnement et, comme il s’apprêtait à repartir par en avant, il eu l’impression de rouler sur quelque chose. Câlissssss. Il prit soin de bien faire sonner la dernière syllabe, ça le défoulait. M’en fou, je pars, je suis en retard! Non, c’est peut-être un enfant, il y en a beaucoup dans la rue. Sa culpabilité l’emporta et il sortit de sa voiture. J’aurais pas pu regarder avant de sortir de mon stationnement? Les enfants, ça joue tôt dans les rues! Il soupira d’aise. Sous sa voiture, il venait de découvrir un petit amas de poils roux ensanglantés, une petite boule de chaire ratatinée qui n’avait plus l’air de grand chose. Il venait d’écraser un chat. Il balaya les alentours des yeux et aperçu la poubelle de sa voisine, sur le côté de l’immeuble voisin du sien. Ça ferait l’affaire. Il agrippa les restes de l’animal par la patte la moins sanglante et entendit un faible miaulement, quelque chose de guttural qui exprimait une souffrance qu’il préféra ne pas s'imaginer. Il n’avait pas le temps pour ça, ni l’envie. Il marcha rapidement les quelques mètres qui séparaient sa voiture de la grosse poubelle noire de sa voisine, l’ouvrit et y jeta le chat roux et maintenant rouge avant de partir.

mercredi 15 août 2012

The Cat Thing

The cat thing ou l’exploration de la culpabilité débile d’une étourdie qui envisage les chats comme des humains. De mon déménagement dans un nouvel appartement découlait naturellement l’arrivée dans ma vie d’un chat. J’en étais privée par la situation précédente et le changement renversait cette triste réalité. Depuis des semaines, je tâtonnais sur les sites de refuges félins, je magasinais un animal avec le vent dans les cheveux puisque toute ma vie, j’ai jouis de la présence d’animaux autour de moi et ça me manquait. Après moult réflexions, nous avons adopté une vieille chatte de neuf ans, craintive et fragile. Son environnement se devait d’être calme, la jolie demoiselle du refuge nous l’avait précisé. S’en suivirent quelques jours d’idylle, de nuage timide de début de relation qui, évidemment, se soldèrent avec l’arrivée de la réalité. Je ne dis pas que cette pauvre chatte, Odile, m’a déçue, je dis simplement qu’après quelques jours à entretenir l’illusion du début, la politesse de la timidité et de la retenue, les deux partis montrent leur vrai visage sans gêne, sans le masque du « vouloir bien paraître. » J’humanise les chats, I know. Bref, la déception se pointe sous toutes les formes, la mienne fut une morsure. J’ai découvert à ma vieille chatte, que je me dessinais docile et affectueuse, un côté tigresse cruelle. Sans parler en métaphores plus longtemps, elle m’a sauvagement mordue une bon soir et j’ai cru déceler en elle une sournoiserie méchante qui m’a brisé le cœur. Bref. Une soirée tiède quelconque qui, dans mes souvenirs, allez savoir pourquoi, ressemble à l’automne, je marchais vers chez moi et un chat s’est faufilé entre mes pattes. Sans que je ne comprenne vraiment ce qui se passait, il avait l’air de quémander de l’amour, là, à mes pieds. Je me suis penchée pour le caresser, décidée à lui rendre cet amour gratuit comme on caresse n’importe quel chat amical dans la rue, sans penser plus loin. Mais quand je suis partie, il a gémi et m’a suivie. Il n’en fallait pas plus pour que je m’attache. Eugène que je l’ai appelé, c’est venu comme ça. Des fois les prénoms s’imposent. N’empêche, querelle s’en est suivie, Louis était catégorique, je devais laisser ce chat à la porte de l’immeuble, jusqu’où il m’avait suivie. Et je l’ai fait. Trois jours durant j’ai pensé à ce minou roux si pâle qu’il avait l’air recouvert d’un mélange de cassonade et de crème fraîche. Je pensais à sa queue étonnante, vraiment large et touffue mais si courte. (J’aurai essayé de ne pas faire sonner cette phrase comme une description de récit porn, mais too bad, les choses sont ce qu’elles sont.) J’étais triste d’avoir frôlé un nouveaux quelque chose, une relation impromptue et étrange, et surtout, d’imaginer un chat si gentil vivre sous les arbres à la merci des intempéries. Bref, un autre soir – je vis de soir - alors que je rentrais chez moi, au tournant de la 26e rue, Eugène est apparu. Je tourne la tête et il est là, à courir vers moi comme si je lui avais manqué et que j’étais enfin de retour. Depuis, on ne s’est pas vraiment laissés. Je l’ai fait entrer chez moi, peu importe ce que Louis pouvait en penser, et je lui ai laissé, sans questions ni attentes, élire domicile vague dans mon appartement. Et, malgré quelques petites absences, il revient toujours attendre sur le palier de la porte de la cuisine, prêt à venir dormir, manger et se prélasser contre mes cuisses. La mise en situation fut longue, mais voilà le cœur de l’idée, the cat thing. J’aime Odile malgré son agressivité. Évidemment, l’arrivée de Doris – Eugène était finalement un prénom inadéquat, le chat étant finalement une chatte- ne lui a pas plu. À son naturel renfrognée et timide s’est ajouté, j’en suis plus que certaine, une part de rancune. Rancune contre moi, sa maîtresse, qui est arrivée avec ce chat qui prend toute la place et qui, visiblement, comble mes attentes. Et moi je suis là, à culpabiliser d’entretenir, sous les yeux d’Odile, une relation qui semble si riche avec Doris. À chaque caresse, à chaque frottement, j’ai l’impression qu’Odile me regarde et m’en veut. Son agressivité augmente et les quelques marques d’affections du début se sont effacées pour ne laisser qu’un chat amer qui, bien honnêtement, m’effraie. Odile serait peut-être mieux dans un autre foyer, avec une vieille dame qui lui consacre la totalité de son attention et qui ne lui impose pas d’intrus. Mais Doris est une présence aléatoire, qui entre et part au gré du vent, sans aucune attache tangible. The cat thing : Est-ce que je suis en train de démolir une relation féline établie et officielle, quoi que décevante, pour une autre relation peu sûre et aléatoire mais riche ? Et je culpabilise de seulement penser à la réponse.