Rodrigue Pelletier sent le bois dense du comptoir contre sa hanche.
Un comptoir dont la saleté tache ses chemises, sur lequel trône une caisse enregistreuse désuète où l’argent s’épuise. Fils du propriétaire du dépanneur de Joliette, il occupe, grâce à la pitié avouée de son vieux père, le poste de caissier.
De pompiste également, depuis peu, mais il n’a pas l’intention que ça dure.
D’où il se tient, il observe goulument la vie qui se déploie devant le pitoyable établissement. Une vie de quartier qui se flétrit, il le voit bien, qui perd des plumes au fur et à mesure que la société se développe et que de nouveaux commerces, plus beaux, plus chic, moins cheap, poussent comme du chiendent.
Sa vie, il la regarde à l’oblique. Comme il est constamment appuyé sur sa jambe plus courte, les pans de sa chemise sale de pompiste pendent dans le vide, rigides d’huile sèche et de crasse croûtée. Il sent le gras des quelques cheveux qui lui restent, étrangement jaunes sous les néons qui crépitent au plafond. Il se fond dans le décor. Un décor de mélamine sale, de gris et de jaune ayant remplacé le blanc, de présentoirs de sacs de bonbons durs qui lui font mal aux dents et d’odeur de métal dans lequel lui, Rodrigue, se sent bien.
***
Il fait crissement beau, aujourd’hui. Vraiment. J’aime ça, quand l’soleil se reflète sur les chars qui sont dans la cour du dépanneur. Ça sent l’asphalte chaud quand j’vais tanker les chars des clients. Avec une température de-même, les clients sont de bonne humeur. Ils tipent pis ils font remplir leur char de gaz sans chigner. Pas aujourd’hui, faut croire. Encore un client qui sacre son camp ! Un beau U-turn dans l’stationnement pis il décampe, dans son gros char d’avocat. La clientèle est pas fidèle ben ben, de nos jours. On a beau leur faire crédit, leur laver le windshield, tout le monde se pousse.
Tiens, encore la folle à Sonia Tremblay qui quête dans l’parc d’en face avec son kid. Toujours devant l’curé, comme si y’allait lui en donner, des cennes. Elle a beau faire la fière, moi au moins j’travaille pour de vrai. Pas comme son imbécile de locataire. Un locataire! Faut ben prendre le monde pour des caves, on le sait tous qu’il couche avec. Elle fait encore comme si elle ne me voyait pas. Toujours de-même quand elle joue avec son p’tit Mike, mais le flot lui, je le vois bien qu’il me voit. Surtout quand je lui montre une kit-kat par la fenêtre du dépanneur. Ah ben ça, il le voit en maudit. Comme si j’étais une mauvaise influence pour c’t’enfant-là. J’voulais juste l’amuser, la dernière fois.
Encore le taxi de Martin! Ça doit ben faire une bonne heure qu’il est là. J’espère qu’il vient pas me quêter de l’argent encore. J’ai vomi sur sa banquette une fois, j’lui dois pas ma vie. Vingt piass pis on en parle pus, calvaire! Y’a un beau char quand même, le chanceux de Martin. Il s’est bien placé les pieds, chauffeur de taxi, ça paye à ce qu’il paraît. J’devrais aller lui demander s’ils cherchent du monde, ses boss. J’pourrais m’pousser de la job pis laisser mon vieux faire ses propres affaires.
***
Lorsque les doigts de Rodrigue poussèrent la porte de verre, la glorieuse clochette pendue au-dessus de la porte l’agaça. Il en serra les dents. Le vacarme l’assomma aussitôt, comme une violente claque au visage. Un vacarme d’accident, de voiture compacte qui s’enfonce dans un camion. Étourdi, il sentit la chaleur de l’asphalte rugueuse sous ses paumes. Il sacra.
samedi 5 mars 2011
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Amélie! C'est la fille qui porte pas de soutien-gorge les dimanches qui t'écrit! J'aime sa te lire!!! je suis ben ben contente de voir que tu à remis des textes sur ton blogue! J'espère tellement qu'un jour tu va ecrire des roans que je vais pouvoir dévorer! <3
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