lundi 11 avril 2011

La mort de mes bottes de cow-boy

Hier, mes bottes de cowgirl sont mortes. De magnifiques bottes hautes de faux-cuir orange-ocre, brodées de fils cuivrés, aux bouts pointus et aux talons solides.
Le verdict était tombé comme un marteau sur la tête d’un clou innocent. Jeune femme optimiste, je m’étais vue dévisagée par le cordonnier qui, à ma demande de réparer mes bottes, m’avait répondu d’une voix qui ne laissait pas de chance. Qui tuait. Câliss ça aux vidanges, sont trop maganées. J’sais ben pas c’que tu leur as faites, à tes bottes, mais sont pus bonnes, moi j’peux rien faire avec ça.

Hier, j’ai ouvert mon placard, le printemps obligeait un changement de chaussures. J’ai tout de suite pensé à elles. Un amas de cuir roux à l’agonie. C’est ce que j’y ai vu.
Je me sentais comme l’enfant d’un parent faible qui se meurt du cancer. Qui agonise, qui se bat dans sa faiblesse tout en souriant.
Je les ai sorties du placard, pour leur faire voir un dernier début d’été, un dernier balbutiement de printemps. Elles ont gémis un peu, faiblement. De plaisir autant que de souffrance. Une dernière sortie romantique, une dernière escapade qui sent le printemps, une dernière soirée à piétiner de petites roches pointues du bout des orteils. Un peu comme une fille qui sort sa mère mourante de l’hôpital, malgré son absence de système immunitaire, pour lui faire voir les oiseaux une dernière fois. Pour lui détruire les dernières miettes de santé en lui accrochant un sourire au visage.
Une sortie à l’air frais qui respire la beauté douloureuse, le bonheur souffrant.
À chaque pas, je sentais le cuir s’amenuiser, se déchirer la chair. Je l’entendais se tordre en silence, se délecter de l’air frais tout en ayant mal aux semelles, tout en ayant la mort au bout de la pointe.
Je me savais irresponsable. À n’importe quel moment, elles pouvaient flancher. M’abandonner.
À chaque parcelle de trottoir que je foulais, je percevais la trépidante envie qu’elles avaient de prendre envol, de me mouler le mollet comme elles seules sont capables sans toutefois qu’elles réussissent à resplendir comme avant. L’éclat de l’or s’était mué en étain.
À chaque enjambée, la semelle s’émiettait, le corps de la botte s’ouvrait.
Le son sur le ciment. J’entendais l’armature de la botte en déconfiture qui se frottait au sol, la botte s’essoufflait jusqu’au squelette, râlait dans son souffle de métal. J’essayais de ne pas mettre tout mon poids sur leur échine rompue, mais je sentais ma lourdeur sur leur carrure.
Au bon moment, elles ont abandonné. Se sont laissé aller dans une déchirure, emportées par un vent de mort. J’ai eu du support. Un deuil ne se vie jamais seul. On m’a soulevé du sol et portée jusqu’à l’appartement à bout de bras. Ma botte droite avait abdiqué, s’était déchirée en deux à la semelle, et la gauche allait suivre. À six pieds du sol, je pleurais mes bottes désarticulées qui pendaient à mes chevilles, mortes.
J’ai l’intention de les enterrer.

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