lundi 11 avril 2011

Vent chaud et gravier

Prête à sortir, Amélie n’avait pas déposé sa main sur la poignée mais déjà elle percevait le printemps qui était là à l’attendre, l’autre côté de la vieille porte. Un printemps poignant qui exhale l’odeur saline et terreuse des bourgeons, qui rappelle la sensation du sable grossier sous les pieds, du vent délicieusement chaud qui surprend, après un hiver froid et mordant. Un printemps installé sournoisement, la nuit durant. Un printemps tant attendu. Coquine, elle s’attardait. Elle savait que le soleil l’attendait. Entre autre. Il s’infiltrait entre les lattes du store, il lui réchauffait le cuir chevelu, lui excitait les taches de rousseurs, pourtant bien enfouies.
Dehors, un grand brun l’attendait. Un homme doux, différent. Du genre de ceux qui font un détour pour quelques secondes. À peine passé le pas de la porte, le soleil avait bondi sur elle, en parfait synchronisme avec les sentiments qui accompagnaient la présence du jeune homme, ce matin, devant sa porte. L’épaule droite accotée sur l’immeuble, d’une nonchalance calculée, il laissait ses mains dans ses poches, aussi impatientes étaient-elles. Il portait un jeans pâle sur ses longues jambes larges, fortes. Un jeans sensuel, si un jeans peut l’être. Par sa veste de cuir entrouverte, Amélie voyait son cou massif, nu. Un sourire s’esquissa sur leurs lèvres. Un sourire l’un pour l’autre. Elle ne voyait pas ses yeux, il portait ses éternelles lunettes aux verres fumés, mais elle les devinait amoureux.
Une bouffée de chaleur l’avait envahie, l’avait fait fondre. Une chaleur sourde de printemps mélangée à une flamme allumée par du cuir, de la carrure et des dents blanches. Comme elle croyait se répandre en flaque, elle s’était surprise à continuer son chemin, suivie de l’homme tendre. Elle écoutait le bruit de ses petits pas légers sur le gravier qui s’était enfin débarrassé de la neige qui le recouvrait, qui l’étouffait. Après trois ou quatre bouffée d’air, déjà, ses poumons étaient pleins de printemps, de rose et d’amour. Sa main, glissée dans celle du tendre, semblait ridiculement menue. Ses longs doigts fins ressemblaient à de minces brindilles enserrées entres de fortes branches. Elle rougissait. Jamais la taille de ses mains ne lui avait paru aussi mignonne que lorsqu’elles étaient au creux des poings de ce grand garçon.
Ils étaient arrivés à l’arrêt d’autobus. Elle regardait autour d’elle et se sentait ailleurs. Dans un film, peut-être. Elle voyait le chemin pavé qu’ils avaient emprunté pour descendre jusqu’à cet arrêt. Un petit chemin sinueux au milieu d’immeubles vieux, vivants. Un cachet énorme. Un quartier où le vieux contraste avec la rapidité du progrès. Elle avait toujours rêvé de vivre dans le Vieux-Québec. C’était chose faite. Avec lui, comme un petit quelque chose de plus. Un grand quelque chose de plus, en fait.

L’autobus arrivait, au loin. Déjà, l’homme sentait la séparation, voulait l’embrasser. Sur la pointe des pieds, elle se hissait jusqu’à lui, s’accrochait à son torse. La tête inclinée, il attendait ses lèvres. Amélie devinait ses yeux fermés, cachés derrière des verres noirs. Des lunettes immenses, de star de cinéma, dans lesquelles elle se voyait l’embrasser. L’extase. Les gens qui se massaient pour être cueillis par l’autobus les regardaient. Elle sentait une vingtaine de regards braqués sur elle, sur lui, sur leur étreinte. Le temps s’arrêtait.
Sous ses pieds, le gravier continuait de lui rappeler la lente et douce fonte des neiges, le vent lui soufflait dans les cheveux, lui effleurait le cou. Un vent chaud, parfumé. Chaud comme la bouche de l’autre, qui la retenait encore, quelques fugaces secondes, contre lui, avant qu’elle ne parte travailler.

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