mercredi 8 avril 2009

Cas d'havre


Voici une nouvelle sur le minotaure que j'ai écrite dans le cadre du marathon d'écriture du Cégep Sainte-Foy.
Je l'ai retravaillée, corrigée et légèrement modifiée pour le cours de Discours narratif.

Si vous voulez passer jeter un coup d'oeil sur wikipédia au sujet du minotaure, ça aide à la compréhension!
http://fr.wikipedia.org/wiki/Minotaure

Bonne lecture, si vous vous rendez au bout..:P

Cas d'havre

Je suis mort, froid et égaré, perdu dans ce néant de noirceur et de doutes qu’est le havre de la mort.

J’ai enfin un refuge, où je peux être solitairement affreux, toujours isolé de tous.

Ma mort est à l’image de ma vie : triste, froide et solitaire, ô combien solitaire. Mais vous savez ce qu’on dit : à tout malheur, quelque chose est bon. Certes, j’ai dû rendre ce qui me servait d’âme, mais j’ai enfin perdu la notion du temps, la mort étant, par sa nature, étrangère à une quelconque notion temporelle. Je ne passe plus mon temps à attendre, puisque je ne passe plus de temps, tout simplement. En effet, dans la mort, tout devient monde des ombres, il ne reste que les souvenirs. Leur monde est indéchiffrable, confus, décousu. Parfois, des bribes venues de nulle part remontent à la surface de mon esprit et me grisent, de par leur force. Ce qui s’impose le plus souvent à mon esprit, seul vestige restant de mon affreux corps, est la sensation du sol, dur et froid, sous mes pieds humains, triste contraste avec ma vulgaire tête. Cette tête que je n’ai jamais eu le courage de regarder, autrement qu’avec le toucher de mes mains. J’en tâtais les pointes, les deux longues cornes qui, à elles seules, me refusaient l’accès au monde des humains. La nuit, le sol devenait si froid, glacé, qu’une douleur envahissait mon corps. Sa texture terreuse mêlée à l’air glacial qui embaumait l’atmosphère me donnait l’impression de marcher sur une neige poudreuse, sèche et qui ne serait pas altérée par la chaleur que dégagent mes membres.


Comme je le disais, la confusion des souvenirs me fascine. Pour quelle raison sordide la texture du sol de mon architectural cachot hante-t-elle mon esprit, et ce, après mon trépas? Peut-être parce que ce sol, glacial et dur, était à l’image de mon être. Qu’en sais-je. De mon vivant, mis à part la solitude, rien ne meublait mes journées, pas même l’écho d’une voix qui ne soit pas hostile. J’errais donc, sans fin et sans but, comme une vulgaire bête dénuée d’esprit. Triste sort que celui d’avoir une majestueuse bête comme géniteur et une femme pourvue de désirs contre-nature comme mère. En effet, le produit d’une telle union ne peut être que craint, de par sa génétique incohérente. Si Pasiphaé, ma mère, avait su, peut-être se serait-elle abstenue. Mais non, je sais que ces désirs ne provenaient pas d’elle,
j’en ai l’intime conviction.

Les souvenirs des visites que je recevais peuplent également ma mémoire. Tous les neuf ans, quelques quatorze êtres étaient envoyés, pour je ne sais quelle raison, dans le labyrinthe. Lorsque je les croisais, ma joie était telle! Ma solitude était enfin rompue, révolue. Je m’élançais avec un bonheur sans égal vers la proie de ma débordante affection.

L’amour est une chose qui déborde.

Chaque fois, c’était pareil. Je me souviens de leur torche. Je me souviens de la flamme qui illuminait leur visage d’une lueur orangée. Grâce à cette lueur, je percevais l’éclair de frayeur qui striait puissamment leur regard à leur en couper les yeux. Comme je voudrais oublier cet éclair, l’horreur y trouvait un nom. L’élan de bonheur qui me poussait à solliciter tous mes muscles pour me ruer sur eux était freiné. Je ne voyais plus un être debout devant moi, mais un corps, au visage
livide, en chute vers l’arrière.


L’effroi tue. Je redécouvrais cela chaque fois, avec une souffrance grandissante. Votre laideur a-t-elle déjà tué un homme, de par son intensité? Assurément pas. Le fait est que je suis un monstre, et donc que je suis monstrueux, monstrueux à tuer.
J’ai également le souvenir d’avoir cru que la mort me délivrerait de l’étau de la solitude, souvenirs de naïveté que ceux-ci. Avant ou après le trépas, la solitude reste, et me dévore toujours. J’ai passé une vie de rejeté, confiné dans un labyrinthe qui ne portait pourtant pas de serrure. Mon cachot aura été pour toujours ma laideur, mon corps incohérent de par sa construction bien malveillante. Force m’est de réaliser que décéder ne m’a pas éloigné de la vie de froidure et de solitude que j’ai eue.

Je suis le minotaure et je suis froid, gisant, mort.

Un cadavre.

Quel mot abrupt que celui-ci.

Cadavre.

Un mot laid, teinté de mépris et d’une fragrance de bois dur.

Celui qui compose habituellement les cercueils.

Mais moi, je n’ai pas droit à un cercueil. Je suis vulgairement laissé, sans sépulture, sur mon sol, celui qui a bercé mes angoisses, mes larmes et ma souffrance d’être rejeté, vu comme un monstre. J’en ai peut-être la tête, mais je ne suis pas une bête et je ne le serai jamais, pour la triste présence de mes sentiments.

Et, seul avec mes souvenirs peuplés de rejets et d’amères déceptions, je ressasse le
passé.

Je suis un monstre, ni vraiment humain, ni vraiment bête. Refusé au monde des
humains, délaissé dans celui des bêtes.

Je suis né enfant contre-nature et je suis mort seul, simplement seul.

839 mots

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