mardi 11 décembre 2012

La forêt

Depuis maintenant quatre heures, Martin était enfermé dans cette pièce ocre dont l’odeur de térébenthine faisait fondre les murs. Il la détestait, cette chambre exiguë, Marguerite le savait très bien. Mais chaque soir et chaque matin, il s’y enfermait à clef. Lorsque, abandonnée, elle sortait de la maison, elle pouvait voir par la fenêtre la lumière crue de l’ampoule qui perçait le mur de brique. La fenêtre. La seule raison qui faisait que Martin choisissait cette pièce. De cette large fenêtre au cadre de bois foncé, il pouvait voir la forêt qui bordait le côté gauche de leur terrain. Une forêt ombreuse et épaisse, dont l’odeur de terre moite et feuille humide imbibait toutes les draperies, l’été, lorsque le vent circulait librement dans la maison. Martin en était amoureux, de cette forêt. Plus que de Marguerite ? Elle le lui avait demandé, mais s’était heurtée à son silence. Il se levait le matin pour observer le soleil pénétrer de ses rayons chaque feuille de chaque arbre. Pour croquer au vif la manière dont la lumière s’étendait sur les branches irrégulières et rendre le tout sur ses toiles. Inlassable, il s’enfermait également le soir dans son observatoire pour scruter amoureusement la noirceur engloutir et boire sa forêt, pour étudier la douce arrivée de l’indigo foncé puis du bleu de Prusse dans le cadre de ses images qu’il se gravait dans le cerveau. Il courait ensuite les étendre en peinture sur des toiles vierges et inoffensives qui se voyaient maculées de nuit, d’arbres, de branches et de feuilles. Il ne peignait que cette forêt. Il n’en était jamais rassasié et luttait, à chaque minute du jour, contre ce besoin qu’il avait de la contempler pour ensuite la peindre. Marguerite, dépassée, regardait les toiles s’empiler. Toutes pareilles les unes aux autres, aurait-elle dit à quiconque lui en aurait parlé. Mais elle gardait le silence sur la folie de cet homme qui partageait sa vie et qui s’évertuait sans succès à imprégner sur la matière rêche de ses canevas l’âme de cette forêt.

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