mardi 11 décembre 2012

Le client

Enfin, il lui avait donné la permission de s’en aller. Marie passa une main, celle qui n’était plus attachée, dans ses cheveux et grimaça. Elle sentait la sueur et le latex humide. Elle restait assise sur le lit, à peine défait, pendant qu’il détachait sa main droite. Leur ébat avait été purement étrange et – Dieu merci - très bref. Pervers, malsain. Marie ne se mentait pas à elle-même, elle vendait son corps à des hommes sales qui la bousculaient, l’utilisaient et ne la respectaient pas mais dans tout ce qu’elle se plaisait à appeler carrière, jamais client ne lui avait fait de telles demandes, ne l’avait troublée à ce point. Place-toi comme ça, fais ça, ne bouge surtout pas, mets ça, mime ça. Joue à la morte. Joue que je te tue. Que je t’ai tuée. Oublie ta tête, tu n’en as plus. Je viens de te la couper. Arrête de faire du bruit en respirant. Tais-toi. Laisse ton corps mou, tu n’as plus de tête ! Il avait été clair, en la payant, il voulait – devait - pénétrer une femme morte. Quelques années auparavant, elle se serait sauvée en pleurant. Mais, s’était-elle dit, le métier l’avait transformée en chienne bien dressée. Mais aussi chienne pouvait-elle être, ça l’avait bouleversée. Mais c’était terminé maintenant, elle pouvait s’en aller. Dans quelques minutes, il aurait terminé de nouer sa cravate, qu’il venait de détacher du pied du lit, et il lui donnerait la permission de quitter sa maison. Elle pourrait enfin aller se laver, débarrasser sa peau de cette sensation de saleté qui lui soulevait le cœur. Il ne resterait de cette expérience que le souvenir troublant qu’elle passerait des semaines à essayer d’oublier et, sur ses vêtements et dans ses cheveux, l’odeur de menthe poivrée de la maison de cet homme. Marie se retenait de courir vers la porte qui la ferait sortir de cette maison. Elle était entrée par devant mais pour sortir, il lui avait demandé de prendre la porte de derrière. Dans sa course vers la sortie, quelque chose accrocha son regard. Dans la pièce du fond, sur un mur presque noir était accrochée un tableau. Marie fut happée par cette toile et ressentit un besoin viscéral de s’en approcher. Elle était signée Lydie Arickx. Une peintre qu’elle ne connaissait pas. Elle observa longuement le sujet. C’était un corps femme, à genoux, proprement décapité. Il était peint de traits grossiers et impulsifs, jaunes, ocres et dorés, sur un fond noir, comme une tache d’encre, hypnotisant. La position du corps transpirait lune soumission crasse, les bras étaient ouverts, comme une dernière supplication. Marie eut un haut-le-cœur, c’était le rôle de cette femme qu’elle avait jouée.

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