mardi 11 décembre 2012

Le cri

L’infirmière lui bloquait la vue, il n’arrivait pas à voir l’écartèlement de sa femme, sa brisure qui lui donnerait un enfant d’ici quelques secondes. Le médecin lui parlait, lui expliquait le processus, la normalité, mais il n’entendait rien. Que ce sifflement violent qui lui meublait entièrement les oreilles et qui gardait tous ses sentiments en otage. Sa femme criait, il le voyait sur son visage. Ses traits se convulsaient, se déconstruisaient en hurlements de douleur intraduisibles. Mais il n’en percevait pas le son. Il était sourd, sourd à jamais devant toute cette folie, sourd, cette panique insoutenable, sourd, cette incompréhension. Il voulait entendre, mais son cerveau refusait, emplissait ses oreilles de vagues folles, déferlantes d’ondes sonores pleines, confuses et noires. Il voulait entendre, entendre, participer de tous ses sens à la venue au monde de son fils. Et juste au moment où il allait hurler pour retrouver la perception des sons, tous les poils de son corps se dressèrent à l’unisson. Il l’entendit. Ce cri strident qui lui brouilla la vue, lui cassa le dos, l’agenouilla. Ce cri, granuleux, aigre, plaintif mais violent, terrifiant, inarticulé. Le premier d’une série de plusieurs millions. Le premier cri de son fils.

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