mardi 11 décembre 2012

Le danseur de la pluie

La sueur chaude fait briller sa peau de charbon. Il voudrait se lécher les bras tellement la soif le tenaille, mais il se retient. Ils sont une trentaine à bouger sur la même terre, à vibrer aux sons des percussions, à fouler le même sable sans relâche dans un seul but : tordre les nuages pour en extraire la pluie. Il se tortille, sent ses bras s’égarer dans de longs mouvements frénétiques, ses pieds martèlent le sol, ses talons détruisent la sécheresse, mordent la poussière et s’effacent sous ses jambes. Il court, revient, suit les autres, les incitent à ne pas rompre cet étourdissement des sens, cette transe de fous assoiffés de bleu, de soif, d’humide. Le soleil les aveugle mais ils en sont indifférents. Les yeux se servent à rien, leurs regards sont éteints. Il a chaud, surchauffe, brûle. Il se liquéfie. L’eau coule de son front, lui glisse dans le dos, suit ses mouvements, vole dans les airs. Il reçoit ses propres gouttelettes de sueur à chaque bond, à chaque saut. Depuis des jours des nuits des siècles, il se laisse posséder par le rythme de la terre, de l’attente de l’eau, de la sueur. Ils dansent ainsi, aveugles, depuis des millénaires. Comme si le temps s’était suspendu pour les regarder, retenait ses averses le temps d’une danse, d’une transe, obnubilé par ces hommes de jais qui tournent marchent courent bougent tortillent leur corps de toutes leurs forces, sans relâche. Mais le moment arrive. Celui pour lequel ils donnent leurs muscles, leurs sens et leur volonté. Le ciel se noircit, grince, beugle, amorce sa déchirure. Ça arrive. La lumière vacille, les couleurs se mettent à fondre, à couler sur eux, sur lui. Le cyan devenu Prusse du ciel lui dégoutte sur la tête, puis se met à lui inonder le dos, l’oblige à revenir sur terre, à reprendre le contrôle de ses sens pour lever le visage vers le ciel. L’eau s’abat sur lui, sur eux, dans un ultime mouvement. Leur ovation.

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